Commentaire de la rédaction: Un très bon article qui explique très bien les causes de l'appauvrissement des populations mondiales mais dont les conclusions nous semblent manquer d'ambition. Si le rapport de force s'inversait en notre faveur, il faudrait mettre en place un société dans employeurs, sans prêteurs et sans actionnaires. Autrement dit, sortir complètement du capitalisme dont la logique est mortifère et destructrice.
Les économies libérales comme les économies étatistes n’ont pas éliminé la pauvreté, bien au contraire. Le phénomène ne cesse de croître, paradoxe d’un monde qui pourtant vante l’« expansion », investit beaucoup dans la recherche, produit de plus en plus. Paradoxe apparent, qui ne se dissipera pas aussi longtemps que ne sera pas imaginé un nouveau type de société.
Nul ne peut ignorer la réalité de la pauvreté d’aujourd’hui. Pauvreté dans les pays riches : aux Etats-Unis d’abord (1), et chez nous, en cette douce terre de France (2). Pauvreté bien sûr aussi dans les pays pauvres et dans les régions de misère et de famine (3).
Le rapport de la commission Brundtland le souligne : « Il y a plus de gens souffrant aujourd’hui de la faim dans le monde qu’il n’y en a jamais eu dans l’histoire humaine, et leur nombre augmente (4). » Ainsi, on peut évaluer qu’en 1980, 340 millions de femmes — 14 % de plus qu’en 1970 — ne disposaient pas de calories en nombre suffisant ; et la Banque mondiale prévoit que ce nombre va continuer à croître (5).
« Le nombre de personnes vivant dans des taudis et des bidonvilles ne recule pas, il s’accroît. Un nombre croissant de personnes n’ont pas accès à l’eau potable ni à des installations sanitaires et sont donc la proie des maladies qui découlent de ces manques (6). »
Les indicateurs chiffrés peuvent être multipliés ; l’un d’eux les résume, même s’il faut, comme tout chiffre, l’utiliser avec intelligence, en s’interrogeant sur ce qu’il recouvre et en le restituant dans son contexte : le produit par habitant. Faut-il rappeler les dix pays qui à cet égard, ont, en 1985, les chiffres les plus faibles : Ethiopie, Bangladesh, Burkina-Faso, Mali, Bouthan, Mozambique, Népal, Malawi, Zaïre, Birmanie ? Peut-on rappeler que le produit moyen par habitant évalué pour ces pays correspond au centième de celui mesuré dans les pays industriels et pétroliers riches (7) ? De tels écarts moyens signifient qu’une famille très riche, dans le monde contemporain, dispose de revenus correspondant aux ressources de dizaines de milliers de familles pauvres dans des pays pauvres — peut-être même de plus de cent mille.
Et l’écart s’est creusé au cours des dernières décennies avec, d’une part, l’accentuation des inégalités au sein de chaque pays, en cette période où triomphe l’idéologie du chacun pour soi ; avec, d’autre part, la croissance plus faible dans les pays les plus pauvres : ceux-ci ont connu, de 1965 à 1985, un taux de croissance annuel moyen du produit par tête de 0,4 % — contre 2,4 % à 3 % dans les autres groupes de pays (8).
Donc la pauvreté, le dénuement, progressent ; les inégalités s’aggravent : et cela, si l’on prend un peu de recul, dans une période d’exceptionnelle croissance de la production et de la consommation.
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Le pauvre d’aujourd’hui peut être pauvre de deux manières : il peut, comme dans le passé, manquer de pain et d’un toit ; mais il risque souvent alors aussi de manquer de l’eau potable, et il risquera de plus en plus de ne plus bénéficier des conditions élémentaires d’une vie saine et, dans certaines régions, de ne plus avoir accès à des terres productives... Et puis, il y a le pauvre qui, avec ou sans toit, est pauvre parce qu’il n’a pas la voiture ou le vélomoteur qui lui permette de se rendre à son travail, pas l’argent pour effectuer les déplacements, pas le téléphone, pas l’argent pour payer l’eau, le gaz, l’électricité, le téléphone (s’il l’a), les assurances, les remboursements d’emprunts...
Nos pauvres ne sont pas seulement des laissés-pour-compte, des marginaux ; ils ont été, ils sont rendus pauvres par nos sociétés. Et ils sont rendus pauvres une deuxième fois par les contraintes et les effets destructeurs de ce que nous nommons le « progrès ».
Ainsi l’idée qui prévaut en matière de lutte contre la pauvreté : « Il faut retrouver la voie d’une plus grande prospérité », est très largement erronée. Car c’est en grande partie dans et de la prospérité que naît la pauvreté contemporaine.
