Par Damien ASTIER, le 25/05/2021.
Dans son récent article sur mediapart intitulé "changez l'économie en profondeur : des propositions émancipatrices", Romaric Godin détaille trois "angles d'attaque" portés par des intellectuels de gauche, dont les idées et mesures canalisent, voire carrément renverse l'économie sous régime capitaliste.

Dans le désordre, l'article développe succinctement, après une analyse approfondie sur la croissance et la valeur :
1/ les idées social-démocrates de Thomas Piketty
Il s'agit d'un socialisme participatif misant à la fois sur la limitation du droit des actionnaires, donc du pouvoir des grands propriétaires des moyens de production (société de capitaux) et sur une justice sociale assise sur la justice fiscale, avec une taux d'imposition progressif sur les revenus du capital permettant de financer une dotation universelle en capital à tous les adultes de 25 ans. Ces mesures ont le mérite d'être simples, mais ne remettent pas vraiment en cause la production ni la définition de la valeur du capitalisme en restant corrélées à la croissance du PIB marchand. La "dotation" des non héritiers reste clairement dépendante de la "valeur" arrachée aux propriétaires capitalistes par une meilleure fiscalité. On ne touche pas ici à la définition de ce qu'est le travail, de ce qui "vaut" dans les activités humaines.
2/ l'idée des communs et d'un dépassement de la propriété portées par Benoît Borrits
Sérieusement plus communiste, le projet s'appuie sur deux piliers : d'un coté le plein emploi obtenu par un mécanisme d'incitation à l'embauche / socialisation d'une part du salaire, de l'autre un fonds socialisé d'investissement se substituant aux banques et prêteurs actuels, dont l'objet sera de financier le capital de départ des entreprises, ainsi "socialisé" et non privatisé. Il y a bien dépassement de la propriété lucrative qui nourrit le capitalisme, avec une démocratisation de l'économie tout entière (l'appareil productif) et non de simples droits de vote aux salariés dans les sociétés comme le propose Piketty. La mesure phare est le Salaire Minimum Socialisé, garantissant à tous les travailleurs en emploi un salaire minimum n'étant pas à la charge de l'employeur (incitation à la création d'emplois) avec en contrepartie une fraction de la richesse produite par les entreprise prélevée et mutualisée pour abonder cette caisse de salaires. Une solidarité entre les entreprises est ainsi établie, le travail en emploi ou en indépendant semble pouvoir mieux se partager.
3/ les idées communistes de Bernard Friot et Frédéric Lordon
Il s'agit bien sûr du salaire à vie théorisé par Friot, qui propose une déconnexion entre salaire et emploi, chaque travailleur recevant dès le majorité un salaire le reconnaissant comme producteur de valeur, une valeur non capitaliste. Le système repose sur l'extension de la socialisation de la valeur ajouté, par le système de cotisation tel qu'introduit par la sécurité sociale en France. Pour s'affranchir des angles morts ou sensibles de la proposition (qui de la formation des prix ? quid de la décision des justes niveaux de salaire et de leur évolution), Lordon simplifie l'idée en posant, déjà, le principe d'une Garantie Economique Générale, forme de "salaire" ou dotation de base à caractère inconditionnel : partant, les entreprises qui auront besoin d'employer le feront nécessairement à de meilleures conditions pour les salariés, le chantage à la survie étant supprimé. Reste pour ces propositions la question des renoncements nécessaires et souhaitables aux superflus insoutenables de notre société de consommation actuelle, et l'organisation macro-économique (le capitalisme coordonne mal, dangereusement, inhumainement les activités, mais il coordonne).
A ces propositions, l'idée d'un Premier Niveau de Salaire Inconditionnel (PNSI) mérite d'être débattue : radicale dans son postulat et son financement, audible et humble dans son incision contre le capitalisme, elle pourrait réunir les ingrédients d'un point de convergence.
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