Interdiction de sortir, interdiction de courir : l'Etat (d'urgence) contrôle nos corps, et nous l'admettons car c'est au nom de la sécurité sanitaire. Néanmoins la surveillance des personnes et le contrôle de l'espace public n'a pas attendu le coronavirus pour germer dans les politiques publiques municipales, toujours au nom de la sécurité et du bien "vivre ensemble" bien sûr. A quelques mois d'un scrutin perturbé, les programmes des candidats nous en disent long sur l'avenir de nos libertés urbaines et notre droit à la ville.
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Comme l’écrivait Henri Lefebvre dans son ouvrage « Le droit à la Ville »1 en 1967, la société
urbaine – qu’il différencie de la ville - est la finalité de l’industrialisation, « l’urbanisation et l’urbain contiennent le sens de l’urbanisation », et la ville est le lieu d’expression de la lutte des classes. 50 ans plus tard, on voit comment la classe dominante - la bourgeoisie propriétaire associée à l’aristocratie stato-financière2 – a façonné une ville comme Paris : privatisation du patrimoine immobilier et des lieux de culture (déchus en lieu de consommation de modes), gentrification et ségrégation socio-spatiale, évacuation de la classe ouvrière (que l’on entendra au sens marxiste comme réunissant aujourd’hui les prolétaires, ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre pour subsister), concurrence des usages et standardisation des commerces et de l’architecture, diktat des rythmes urbains – la proximité de la ville du « quart d’heure3 » relevant bien souvent d’un « luxe », qui se paye à prix fort sur le marché de l’immobilier.
Les classes populaires – le prolétariat - ainsi évacuées du centre de la métropole, se retrouvent exclues trois fois : par la distance-temps (éloignement domicile-travail), par la distance-coût (l’enjeu de la gratuité des transports se pose, la hausse des tarifs de stationnement – sans parler de péage urbain – étant un facteur de ségrégation puissant), et par le coût de « consommation » de la ville (activités de loisir, culture, divertissement, restaurants). En effet, la ville capitaliste, à la fois lieu de consommation et consommation du lieu, comme la définissait Henri Lefebvre, promeut la valeur d’échange – consommation des espaces et produits de la ville – contre la valeur d’usage – la fête, le droit à l’œuvre, le « théâtre spontané » - au point de la contester partout, voire de la résorber dans l’échange. Or, cette valeur d’usage résiste, irréductible, constitutive de l’urbain, enjeu du droit à la ville.
