Fragilisé par les mesures de « distanciation sociale », le secteur de la restauration pourrait sortir complètement transformé de cette période difficile. Avec, notamment, la disparition de celles et ceux les plus attachés à la dimension écologique et sociale de leur métier, comme le craint Xavier Hamon dans cet entretien.
Xavier Hamon a été restaurateur pendant de nombreuses années avant de se lancer récemment dans un projet de formation alternative des cuisiniers. Il est le porte-parole de l’Alliance Slow Food des cuisiniers, qui vise à « politiser » le métier, et défend une cuisine faite de produits locaux, sains, émancipés des brevets, travaillés artisanalement et à prix juste.
Reporterre — Comment ça se passe pour les restaurateurs en ce moment ?
Xavier Hamon — Mes collègues sont très désemparés. Dans le réseau de l’Alliance des cuisiniers, on est tous engagés depuis la première heure dans la transformation de notre métier, pour lui donner une dimension écologique et sociale. Or, plus on est militant, plus on prend en compte les enjeux écologiques, climatiques, économiques, sociaux, les circuits courts, la revitalisation des territoires, et plus on est fragile.
Pour nous, faire notre travail de cuisinier, c’est chercher de bons approvisionnements et transformer la matière : cela demande du travail, du temps, du personnel compétent. Et, en plus, on voudrait payer cette compétence et ce travail, tout en ne cuisinant pas que pour une élite. On arrive rapidement à une équation difficile à résoudre. Ceux qui sont militants ont tendance à fragiliser leur entreprise, à ne pas se payer, à avoir des trésoreries tellement faibles qu’ils sont plus rapidement dans le rouge.
À ce jour, le chômage partiel n’a pas été payé aux entreprises. Donc, pour l’instant, elles payent les salaires sur leurs ressources propres et il y en a qui n’en ont pas. Elles n’arrivent pas à payer leur loyer, leurs charges. Et après, il y a la situation personnelle : le restaurateur n’est souvent pas salarié de son entreprise et sans l’activité, il n’a pas de revenu. Donc, comment paye-t-il son propre loyer ? C’est la réalité crue : il faut juste manger.
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Pourquoi avez-vous créé une formation ?
Parce que l’avenir de nos métiers passe par un changement fondamental dans les formations. Aujourd’hui, elles reposent sur des référentiels et des techniques. Aucun enseignement ne prend en compte la connaissance environnementale. Nous voudrions faire intervenir des éleveurs, des maraîchers, des pêcheurs, des scientifiques.
Et puis, on peut former des cuisiniers autrement que par des rapports de force. On reste très souvent, dans les entreprises, dans un rapport de domination entre le sachant et l’apprenant. Ne durent dans le métier que ceux qui résistent à toutes les pressions. Les violences psychologiques, la misogynie, c’est une réalité.
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Le restaurant a une fonction sociale dans le village, la ville, la commune : c’est la convivialité, rassembler, mettre autour de la table des personnes, les faire échanger. C’est un média. Cela fait partie de ce qui permet de faire société. Si, demain, la peur sanitaire contraint les gens à limiter leurs contacts sociaux, alors la fonction sociale du restaurant comme celle du bistrot, du festival, est mise en question.
Enfin, il y a peut-être moyen de réfléchir autrement. Si on tient à notre espace social, peut-être faut-il repenser l’occupation urbaine. Supprimer les voitures dans les rues pour accueillir des terrasses qui permettent la bonne « distanciation ». Le moment est venu de repenser l’espace urbain.
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