« Vous voulez les misérables secourus,
moi je veux la misère supprimée. »
Victor Hugo
La crise sanitaire agit comme un puissant révélateur. D’abord sur l’état accablant de notre système de santé après des années d’austérité. Ensuite sur les attaques contre le Code du travail imposant à nombre de salariés de risquer leur vie pour garantir les profits. Et enfin sur le fonctionnement d’une économie capitaliste mondialisée aveugle aux enjeux sociaux et environnementaux. Il est temps d’apporter un réponse claire.
«Il y a des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », nous dit-on. Mais s’il y a bien quelque chose qui ne doit plus dépendre des lois du marchés, c’est l’activité humaine en général. Pourtant, la prise d’otage que constitue le marché de l’emploi capitaliste ne nous laisse pas le choix : « (re-)trouve un emploi ou crève ». Ce chantage à l’emploi – qui n’est autre qu’un chantage à la survie – contraint des millions d’entre nous à accepter n’importe quel boulot, à n’importe quel prix et à n’importe quelles conditions.
HÉROÏNES ET HÉROS DE L’HEURE
Cette période de confinement nous fait prendre conscience de l’inutilité sociale de certaines activités, voire de leur caractère néfaste pour l’humanité et son environnement. Lorsque le confinement sera terminé, devrons-nous massivement nous jeter à nouveaux sur ces emplois « non-essentiels », inutiles, polluants, abrutissants, sous peine de rejoindre la cohorte des chômeurs ? Car « l’armée de réserve » du capitalisme sera pléthorique à la sortie du confinement : « Jusqu’à 25 millions de personnes pourraient se retrouver au chômage » de par le monde, nous prévient l’OIT 1 . Pourtant, un soldat de l’armée française touche un salaire en temps de paix... et un pompier ou un urgentiste ne reçoit-il sa paye qu’en cas d’incendie ou d’accident ? Bien au contraire, nous sommes heureux qu’ils soient correctement formés et payés à ne pas faire usage de leurs compétences mais qu’ils soient disponibles et prêts quand on aura besoin d’eux. Imagine-t-on que l’on pourrait licencier et se passer d’une partie de nos personnels hospitaliers si la santé des français s’améliorait ? Ceux qui l’ont cru sont complices du désastre sanitaire. Les militaires, les pompiers, les soignants sont des salariés dont on peut dire que la « sous-occupation » est une bonne nouvelle pour l’humanité : on est heureux de les compter comme réservistes, comme travailleurs en forme prêts à intervenir, juste au cas où…
VIVENT LES STATUTS !
Nous sommes tous des réservistes2. Quand nous ne sommes pas en activité, nous sommes soit en formation, soit en recherche ou création d’emploi, soit disponibles pour exercer des activités essentielles à la vie en société dans le cadre domestique, associatif ou bien encore pour la citoyenneté. Les métiers de militaires, pompiers, soignants ont en commun d’avoir un statut : c’est ce qui permet de leur reconnaître un salaire indépendamment de toute production concrète ou financièrement mesurable. Il nous revient de garantir collectivement le statut de salarié à toutes les femmes et tous les hommes qui font société, car nous sommes fondés collectivement à dire ce qui relève de la dignité humaine, ce qui est bon pour l’humanité et ce qui lui nuit. On ne peut pas déléguer au marché une telle responsabilité, c’est à la fois irresponsable et criminel – nous le constatons d’autant plus aujourd’hui. On ne peut pas tolérer, dans notre société si riche, que le salaire vital dépende de manière si précaire d’un emploi, de l’arbitraire d’un patron, de mouvements de capitaux ou d’un krach boursier.
POUR UN SALAIRE INCONDITIONNEL
Au moment où des milliards vont être débloqués pour sauver les entreprises se pose la question du choix de société. Nous avons socialisé l’enseignement, la santé, les retraites, le chômage, l’aide au logement, près de 50 % de la demande3 ... Avec la crise sanitaire, la situation est mûre pour la prochaine étape : la socialisation d’un premier niveau de salaire inconditionnel (PNSI) au niveau du SMIC à toute la population adulte, l’objectif étant d’améliorer son salaire dans une ou plusieurs activités professionnelles. L’idée d’un revenu de base ou universel fait son chemin, mais nous ne demandons pas une allocation de subsistance, encore moins la charité sociale. Parce que l’humain est la richesse qui produit toutes les autres, nous exigeons que la richesse nationale produite collectivement par tous soit reconnue pour chacun sous la forme d’un salaire qui garantisse la dignité sociale et permette de travailler dans les meilleures conditions. Parce que la société est un tout et la contribution de chaque individu à la société impossible à mesurer, nous devons disposer d’un salaire vital attaché à la personne. Ce salaire socialisé devra être financé sur la base d’une cotisation sociale sur la valeur ajoutée (comme le sont déjà les salaires des personnels hospitaliers et les retraites) et versé par la Sécurité sociale – non par l’État ou l’employeur cotisant. C’est le meilleur moyen d’éradiquer une fois pour toute la misère, de nous responsabiliser socialement et d’accorder à tous l’autonomie financière pour ses choix professionnels afin de conjurer les catastrophes sociales et écologiques.
Damien Astier membre d’ASAV (Association Salaire à Vie) et Frédéric Lutaud
Notes:
1 Il y a en a eu 22 millions avec la crise de 2008
2 A l’exception, bien sûr, des malades, des handicapés, des personnes dans la dépendance dont la société à le devoir de prendre soin
3 Les prestations sociales, les aides aux entreprises et les commandes publiques représentent 50 % de la demande
Source: Démocratie et socialisme, page 17 du n° 274 (avril 2020)
