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Godin contre Godin : Relativiser le concept de néolibéralisme pour penser l’au-delà du capitalisme ?

De façon très étonnante on ne peut être qu'être d’accord avec Christophe Barbier lorsqu’il explique l’existence d’une filiation entre Macron et Adolphe Thiers – qui

« en massacrant les communards, sauve la République »


Note de la rédaction: Nicolas Da Silva présente et analyse le livre de Romaric Godin : La guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, Paris, La Découverte, 2019, avant de donner une lecture alternative de la période.


La thèse principale de l’auteur peut se résumer ainsi : le projet spécifique d’Emmanuel Macron (et des forces sociales qui l’appuient) n’est pas le néolibéralisme – les dirigeants politiques français sont tous néolibéraux, et depuis longtemps – mais la stratégie pour imposer le néolibéralisme, c’est-à-dire l’autoritarisme.

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L’intérêt de ce livre – et son point faible – se cache dans une contradiction entre deux lectures concurrentes qu’il est possible d’en faire.

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Pour le dire autrement, il est tout à fait possible, sinon souhaitable, d’écrire une autre histoire du capitalisme français. Au-delà de la périodisation historique fordisme/néolibéralisme, ce qui manque à l’analyse est l’étude de la dynamique du changement institutionnel. Pourquoi bascule-t-on d’une étape historique à une autre ? Cette critique suggère alors de revenir sur le grand absent du livre : le prolétariat – le salariat si on veut utiliser un vocabulaire moins polémique. Il faut alors renverser la proposition de la page 123 selon laquelle Macron est autoritaire du fait des échecs passés du néolibéralisme : en réalité, s’il va si loin c’est peut être d’abord en raison des victoires passées de son camp qui sont autant de défaites du syndicalisme.


Note de la rédaction: Dans la seconde partie de l'article, Nicolas Da silva discute de la pertinence des concepts de néolibéralisme, de démocratie et d’autoritarisme. Puis il propose une lecture alternative de la seconde partie du 20ème siècle contre l’idée d’un État neutre entre capital et travail, dont voici un résumé (à partir de citations) :


a) La Seconde guerre mondiale comme la première sont aussi, et peut-être avant tout, le produit de la crise économique.


b) Le fordisme n’est donc pas le produit d’un compromis institutionnalisé entre capital et travail sous l’égide de l’État – sauf à parler de compromis couteau sous la gorge. La résistance et la collaboration sont marquées d’une couleur sociale


c) Les années fordistes sont souvent appelées « Trente glorieuses »[16]. Or, de nombreux travaux démontrent aujourd’hui à quel point cette appellation est trompeuse. D’un point de vue chronologique ... la gloire peut se résumer à seulement quelques années.


d) Bien sûr les chocs pétroliers des années 1970 changent la donne. Mais il ne faut pas oublier à quel point les effets délétères de la « mondialisation » sont le fruit d’une construction politique. Le plan Marshall est une invitation au libre-échange quand le mouvement social souhaitait, soit mener la « Bataille de la production »[19] derrière les communistes, soit penser la critique du productivisme et de l’industrialisation. Le libre-échange est une construction politique dont les conséquences économiques sont très bien connues par les acteurs.


e) Comment alors requalifier ce que nous appelons néolibéralisme ? Et si on parlait par exemple, à la suite de Marx, d’une seconde accumulation primitive ? Pour lui l’accumulation du capital peut prendre deux grandes formes, l’exploitation du travail et le vol. La première accumulation primitive est celle qui commence avec l’expansion commerciale et coloniale de l’Europe. Le capital croit par le vol des richesses créées par les sociétés antérieures. Et si la réalité des années suivant les années 1970 était une réappropriation de ce qui a été conquis dans le cadre de la lutte intense des travailleurs contre l’État et le capital ? Au moment même où se construisent des formes de productions indépendantes du capital à l’Est et à l’Ouest, celui-ci cherche à se les approprier via la violence de l’État et de la guerre[21].


f) La clef de lecture de cette histoire alternative du 20ème siècle est l’évolution de la classe ouvrière (ou prolétariat), malheureusement grand absent du livre de Romaric Godin. Si la classe ouvrière obtient de grandes victoires au 20ème siècle c’est probablement parce qu’elle se battait dans une optique révolutionnaire[22]. Son enjeu principal n’était pas un meilleur partage des richesses, la réduction des inégalités ou encore l’amélioration des conditions de travail. Dans la lignée des combats du 19ème siècle (anarchiste, socialiste, communiste, et tant d’autres), l’objectif du mouvement social était le renversement du capitalisme, c’est-à-dire la conquête de de l’outil de production – contre le capital et l’État.


g) La crise continue du capitalisme, renforcée à partir de 2007, détériore les conditions matérielles d’existence, mais la bureaucratisation du syndicalisme empêche de mettre en mouvement le social contre ses adversaires historiques – l’État et le capital. Que sont les gilets jaunes ? De ce point de vue le livre de Romaric Godin manque un aspect essentiel du mouvement des gilets jaunes : la remise en cause des organisations syndicales qui ne sont plus un outil de lutte aussi efficace que par le passé mais également – et surtout – la remise en cause de l’État lui-même. Qu’est-ce que le RIC sinon le retour de la critique de l’État et de la représentation comme forme de gouvernement politique ? Dans leurs luttes les gilets jaunes sont sortis des cadres institutionnels du conflit social pour retrouver au moins partiellement les origines du mouvement syndicaliste révolutionnaire : occupation non déclarée de l’espace public (les ronds-points), manifestations non déclarées, sans parcours, par petits groupes désorganisés, sans rapport avec les forces de police, manifestation dans les lieux de pouvoir (sous les fenêtres de la bourgeoisie), etc.


Conclusion:


...Macron ne se radicalise pas en raison des échecs du néolibéralisme en France, il se radicalise en raison de ses victoires. S’il avait effectivement prévu la confrontation sociale, il n’avait pas prévu le retour de la lutte de classe et la mutation de la contestation sociale. Le neuf ce n’est pas Macron, ce sont les gilets jaunes.

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le risque à se focaliser sur le néolibéralisme et à éluder la dynamique institutionnelle du 20ème siècle est de manquer la cible d’un point de vue politique. La critique du néolibéralisme est tout à fait récupérable et compatible avec l’ambition d’un alter capitalisme : un capitalisme apprivoisé, un capitalisme vert, un capitalisme fordiste, un capitalisme méritocratique.

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Si on appelle néolibéralisme le régime d’accumulation qui succède au fordisme, alors il est nécessaire pour les critiques du néolibéralisme de se positionner : en critiquant une phase particulière du capitalisme, s’agit-il d’inviter à un alter-capitalisme qui serait plus acceptable ou bien s’agit-il d’une critique du capitalisme qui appelle au dépassement de ce mode de production ? Dans le premier cas, il y a fort à parier que le mouvement social irait au-devant de fortes déconvenues. Mais a-t-on encore le temps d’être déçus ? Dans le second cas, l’objectif est d’accepter le défi du gouvernement en replaçant au cœur des luttes la question du pouvoir. Or, qu’est ce qui fonde le pouvoir du capital ? La maîtrise du travail. Il est donc probablement vain de vouloir en finir avec la crise par l’impôt ou par la réduction des inégalités, il faut reprendre le vieux programme d’expropriation des expropriateurs – contre l’État et le capital.


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