Il y a un peu plus d'un an, le député MODEM Jean-Luc Lagleize déposait une proposition de loi visant à "réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français"
Un objectif aussi louable sur un sujet aussi vital que le logement, ravivé par le contexte sanitaire depuis, ne peut que séduire a priori. Mais lorsque l'on y regarde de près, et il est vrai que la matière s'avère assez vite technique, on s'aperçoit qu'il s'agit surtout, sous couvert d'innovation législative et juridique, de vider les poches des collectivités accusées de faire monter les prix du marché...pour mieux remplir celles des spéculateurs immobiliers.
Voici une analyse critique de ce projet de texte, fort heureusement en grande partie censuré lors des discussions parlementaires, qui s'inscrit dans la logique du gouvernement et de certaines collectivités d'en finir avec toutes régulations du marché du logement, au premier rang desquelles les logements sociaux qui constituent en zones tendues le dernier refuge de la dignité, voire de la survie des habitants.
CASSER LA SPECULATION…OU CASSER LES COLLECTIVITES
Par Damien Astier
Des députés emmenés par M. Lagleize (MODEM) ont déposé une proposition de loi visant à enrayer la spéculation foncière et rendre l’offre de logement accessible aux Français.
Si l’objectif est aussi louable qu’ambitieux, la dimension technique de ce texte sert avant tout - ou malgré lui ? - de prétexte à attenter aux libertés et pouvoirs des collectivités locales, en s’appuyant sur des suppositions contestables et des diagnostics erronés.
Le préambule de l’exposé des motifs se fonde sur un grave et réel contre-sens d’analyse : « Dans ce contexte, le prix du logement et le coût du foncier sont intimement liés. La spéculation foncière engendre inexorablement une envolée du prix des logements ». En effet, s’il est vrai que prix de l’immobilier et prix du foncier sont économiquement liés comme on l’a expliqué par ailleurs, c’est la logique strictement inverse qui prévaut, les prix du foncier étant formés par compte à rebours (i.e d’apres les hypothèses de prix de vente des immeubles de logement à édifier…). En d’autres termes c’est la spéculation immobilière qui se répercute sur le foncier, ce dernier n’étant qu’une matière première dont le coût exprime la tendance des prix de l’immobilier.
Partant ainsi d’un diagnostic erroné, les mesures proposées pour « lutter contre la spéculation foncière et renforcer le pouvoir des élus » en deviennent au mieux inoffensives pour le marché spéculatif, au pire délétère pour la démocratie et l’autonomie des collectivités locales. En voici quelques-unes, accompagnées de mes critiques elles-mêmes discutables (mais au moins argumentées) :
Interdiction des ventes par adjudication (ventes aux enchères) des propriétés appartenant à l’Etat ou aux collectivités territoriales pour enrayer la spéculation
Cela revient à considérer que les ventes publiques, qui constituent quelques gouttes dans l’océan des transactions immobilières, pèseraient significativement sur le marché : mesure à la fois inutile quant à ses effets sur le marché, et qui prive les collectivités de recettes foncières…que les heureux acquéreurs ne manqueront pas de récupérer, eux, lors de reventes avec la culbute qu’ils feront ultérieurement !
Les acteurs privés de l’immobilier en prennent aussi pour leur grade : « S’agissant des ventes, l’une des raisons pour lesquelles les prix sont si élevés est qu’ils ne reposent généralement sur aucune analyse précise et objective du marché. »
Penser que les acquéreurs et « investisseurs » dans la pierre achètent à des prix fous à la légère est bien naïf : s’il y a bien une logique à l’envolée des prix et aux comportements des acheteurs, c’est bien l’analyse du marché !
Création d’un véhicule de dissociation foncier/bâti baptisé « office foncier libre » sur le modèle des offices fonciers solidaires (OFS) récemment créés et inspirés en partie des CLT aux Etats-Unis.
Les collectivités pourront alors conclure des baux long terme (rien de nouveau, c’est le principe de l’emphytéose) sur ces fonciers mutualisés au sein d’offices, véritables structures de portage foncier. Si le montage apparaît intéressant puisqu’il permet de limiter la propriété dans le temps, on voit mal en quoi il suffirait à éteindre la spéculation puisqu’aucun encadrement des prix n’est prévu pour les reventes ultérieures (contrairement aux baux conclus par les OFS) : la spéculation immobilière battra son plein, comme c’est le cas sur les immeubles édifiés sous le régime de baux emphytéotiques sur les foncier détenus par la Couronne britannique à Londres. Par ailleurs ressurgit la question épineuse du choix des heureux acquéreurs d’un logement à prix cassé qui auront toute latitude pour revendre avec une belle plus-value…bonne chance aux élus pour trouver une formule d’attribution équitable.
L’idée de développer la dissociation foncier/bâti ouvre toutefois une opportunité pour les collectivités, que la proposition de loi n’évoque pas, à savoir d’insérer dans ces baux long terme des clauses d’encadrement de prix ou – bien mieux – d’encadrement des loyers bien plus radicales et efficaces que les timides limitations de la loi ELAN sur ce sujet.
Enfin, et c’est plus grave, la proposition de loi propose, au motif de « libérer plus de foncier et optimiser le foncier disponible » (il est vrai que la complainte des fonciers opprimés est insupportable) à la fois une inversion dans la hiérarchie des normes des documents d’urbanisme et de planification (clin d’œil à celle opérée sur le droit du travail par Mme El Khomry) et – beaucoup plus subtil – une prévalence des pouvoirs du maire vis-à-vis du Conseil municipal.
La mesure parle d’elle-même, inutile de la paraphraser pour l’expliquer : « S’agissant des plans locaux d’urbanisme, ils imposent aux maires certains aménagements et opérations de construction. Toutefois, ces aménagements ne sont pas toujours pertinents. C’est la raison pour laquelle le code de l’urbanisme prévoit des exceptions permettant aux maires de déroger à ces obligations. Il serait néanmoins plus pertinent d’inverser la logique et de ne pas prévoir ces obligations. En effet, les règles d’urbanisme nationales freinent, voire rendent parfois impossibles les volontés locales de construction et d’agrandissement. L’article 6 propose donc d’inverser le principe de la règle et de l’exception afin que lorsqu’une opération de construction et d’aménagement est souhaitée par le maire, il puisse la mettre en œuvre sans devoir déroger à la règle. À l’inverse, il est essentiel que les maires ne puissent pas ajouter de contraintes supplémentaires aux règles déjà édictées par le PLU ».
Jusqu’à présent le maire avait pouvoir de délivrer des permis de construire qui devaient respecter les règles d’urbanisme érigées par le PLU approuvé par le Conseil municipal, après concertation large : la proposition revient à confier tous les pouvoirs au maire, soit un déni de démocratie et une pente bien dangereuse pour le développement de nos villes.
Relevons également, pour être juste envers l’auteur, des mesures utiles proposées pour la connaissance des marchés fonciers immobiliers (création d’observatoires fonciers locaux) et la création d’un fonds public pour la dépollution de friches industrielles afin de permettre leur renouvellement urbain.
Mais au final, entre affaiblissement des pouvoirs des Conseils municipaux, restrictions des droits des collectivités dans leurs modalités d’administration de leur patrimoine et donc de marges budgétaires, et hyper-pouvoirs donnés à la personne du maire contre son assemblée, cette proposition de loi d’abord technique recèle d’enjeu politique : souhaitons que nos députés s’y penchent sérieusement pour éviter le pire.
Complément de lecture: Effondrement de la production de logement social en Ile-de-France: à qui la faute? LE BLOG DE WILLIAM MARTINET
L’association des bailleurs sociaux franciliens vient de l’annoncer : le nombre d’agréments de logement sociaux en 2020 sera de 21 000. Un chiffre en chute libre (-26%) par rapport à 2019 et qui aura des conséquences catastrophiques pour les personnes mal logées. Qui est responsable ? La crise sanitaire, Macron ou Pécresse ? Les trois mon capitaine !
