Le Comptoir : Selon vous, il faut abolir la propriété dominante, qui « se définit comme une propriété dont nous n’avons pas l’usage ». Il s’agit d’interdire d’être « propriétaire d’une entreprise dans laquelle on ne travaille pas ou d’un logement que l’on loue à d’autres ». En quoi est-ce indispensable ?
(...) Il se trouve que la propriété dominante et lucrative ouvre la voie à des rémunérations infinies (...) cette logique influe directement sur la formation des salaires dans les entreprises. Ceux-ci ne sont pas définis par le collectif de travail, donc entre pairs, mais par une direction nommée par les actionnaires dont l’objectif est de contenir la masse salariale afin de réaliser une valeur ajoutée supérieure à celle-ci pour dégager un profit (...) Abolir la propriété dominante et lucrative est donc le moyen le plus sûr de juguler les inégalités à la source.
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[Mais une entreprise est d'abord] un collectif de travail qui produit une valeur ajoutée en vendant des biens et des services. Dès lors la forme que prendra l’entreprise est évidente : les travailleurs, en tant que producteurs et titulaires de cette valeur ajoutée, dirigeront l’entreprise comme cela se fait déjà dans les SCOP (Sociétés coopératives et participatives). Mais ils la dirigeront non pas en tant que nouveaux propriétaires mais en tant que producteurs associés.
Quelles formes prendront alors les entreprises ? Et les services publics ?
L’autre aspect positif de l’abolition de cette propriété dominante est l’apparition de la démocratie dans les entreprises. Il est paradoxal de constater que la démocratie est une valeur fondatrice de nos sociétés et que le citoyen ne l’est plus dès qu’il est à son poste de travail : il doit obéir à une hiérarchie qui lui est totalement extérieure. Nous vivons dans les entreprises une situation d’ancien régime et celle-ci ne s’explique que par la propriété dominante : l’apporteur de capitaux a mis son argent à la disposition de l’entreprise sans aucune garantie de rémunération et revendique donc le droit de diriger celle-ci.
Vous prônez aussi un nouveau système monétaire et bancaire, socialisé. Pourquoi ?
(...) un système financier socialisé est incontournable.
Celui-ci s’organise autour d’un Fonds socialisé d’investissement qui joue à la fois le rôle de banque centrale et se substitue aux marchés financiers qui disparaissent. La simplicité commande que ce fonds assume le rôle de banque centrale mais on peut aussi envisager une séparation de ces deux fonctions pour conserver une banque centrale déjà existante. Le rôle de ce fonds est d’offrir aux banques socialisées – gérées comme les autres entreprises par leurs salariés et usagers – des crédits de long terme pour financer les unités productives. Ces crédits que les banques vont accorder remplacent les financements apportés par les actions et les obligations. Comme il n’y a plus de marchés financiers, la monnaie sera alors le seul actif financier qui subsistera et qui représentera un pouvoir d’achat qui ne rémunérera pas son détenteur.
Le Fonds socialisé d’investissement aura un pouvoir fiscal et pourra lever de l’argent par application de cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises.
Pour vous, il faut prendre le pouvoir par les voies institutionnelles plutôt qu’insurrectionnelles. Un tel programme a-t-il une chance de remporter une élection ? Le voie électorale ne mène-t-elle pas à édulcorer les programmes ?
... Aujourd’hui, les programmes de ces coalitions portent un changement de la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail sans poser la question de la propriété des entreprises, alors que cela avait été partiellement le cas du programme commun de la gauche de 1972
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Il n’est donc pas impossible que dans le cadre de l’arrivée au pouvoir d’une coalition progressiste qui ne prévoyait pas l’éviction des actionnaires, la mobilisation de la classe salariée devant le faible investissement des entreprises pose la question de leur appropriation sociale. Le moment électoral se nourrit du mouvement social et inversement.
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