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Avec le couvre-feu, l’ordre marchand redevient la priorité - Romaric Godin

Comment comprendre le choix du couvre-feu pour lutter contre la propagation du virus ? C’est la conséquence d’une priorité redonnée à l’économie marchande, conçue comme anthropologiquement nécessaire et à laquelle le système de santé et les libertés publiques doivent s’ajuster.

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Le confinement du printemps dernier avait montré qu’il était possible de réaliser, pour reprendre le mot du sociologue hongrois Karl Polanyi, un « désencastrement » de l’économie sur la société.

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il permettait d’ouvrir deux possibilités, largement complémentaires. La première, c’était que ce désencastrement même étant possible, il permettait, hors du confinement, d’organiser autrement « l’économie ». Il devenait alors possible de réduire l’impact social de la suspension de l’économie marchande, par un élargissement du filet de sécurité sociale et par le développement de l’emploi public. On pouvait donc penser des besoins hors du cadre marchand. Cela était d’autant plus nécessaire que la crise sanitaire ne s’arrêtait pas et que des restrictions pouvaient encore avoir lieu.

La deuxième possibilité était d’utiliser le confinement et les possibilités du désencastrement pour renforcer les dispositifs sanitaires. La première crise avait montré les limites de la gestion passée du système hospitalier. Le virus est dangereux, mais son vrai danger, celui qui conduit aux restrictions de liberté, c’est la sous-capacité du système de santé.

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L’exécutif a fait le choix d’ignorer ces deux possibilités. Effrayé par le « coût » du premier

confinement, il s’est empressé d’organiser un simple retour à la normale économique et social. La production de profit redevenait l’alpha et l’oméga de toute la vie sociale.

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C’est donc désormais la logique marchande qui dicte sa loi et s’impose à la crise sanitaire elle-même. C’est le vrai sens du « vivre avec le virus » qui a été le mot d’ordre du gouvernement durant tout l’été. Car, en réalité, il y a bien des façons de vivre avec le virus, selon les priorités que l’on se donne et qui déterminent les inévitables limitations de liberté qui accompagnent une telle crise sanitaire. Depuis le 11 mai, la priorité du gouvernement est inscrite dans son plan de relance, c’est « produire ». Non pas produire pour répondre à des besoins essentiels ou à la crise, mais simplement « produire », sans aucun complément d’objet.

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Le centre de la vie doit être le travail et ce qui doit s’ajuster à cet impératif, c’est la santé et les libertés publiques.

En réalité, cette vision est, d’un point de vue capitaliste, imparable : elle prouve qu’il n’y a pas d’économie capitaliste sans travail et que c’est bien ce travail soumis à l’impératif marchand qui est la source de toute valeur. Dès lors, la fonction de l’être humain dans une telle société est d’abord de travailler. Tout le reste doit y être soumis.

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La crise sanitaire est donc utilisée comme un moyen de réduire l’homme à sa seule fonction productive. Quelle est la vie sous le couvre-feu ? Travailler pour produire, travailler pour générer du profit et renouveler sa force de travail pour recommencer demain, une fois le couvre-feu levé. Rien de plus. La police est, carnet de contraventions à la main, en charge du respect de cet ordre social.

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Il n’y a finalement rien de surprenant à ce que le gouvernement fasse ce choix. Il traduit sa

perception profonde de la société. Historiquement, le capitaliste français a toujours perçu le « bon peuple » comme celui qui travaille et retourne dans son foyer.


Pour lire l'article de Médiapart

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