Mettre fin à la propriété lucrative (entendre tirer profit de son patrimoine), abolir le marché de l’emploi et salarier l’ensemble des citoyens sur une échelle de 1 à 4 : la proposition, chiffrée et détaillée, est claire. Mais comment la mettre en place ? Autrement dit : comment accéder au pouvoir ? C’est, dans ce second volet, l’une des questions que nous tenions à aborder avec Bernard Friot. Le salariat a mauvaise presse, dans le camp anticapitaliste, et l’urgence écologique oblige à penser toute transformation sociale à l’aune de celle-ci : ce sont là d’autres questions, auxquelles l’économiste et sociologue communiste n’a pas manqué de nous répondre…
Entre l’économie et la politique, vous passez facilement d’une catégorie à l’autre. Le « salaire à la qualification » — ou « salaire à vie » — est-il une mesure économique ou politique ?
Je suis de plus en plus tenté de répondre : politique. Pourquoi la gauche est-elle actuellement inaudible ? Parce qu’elle ne politise pas le travail. Elle campe sur une espèce de technologie fiscale — « réduire les inégalités en faisant payer les riches » — ou sur une « défense des services publics » qui s’adresse aux travailleurs comme consommateurs et non pas comme travailleurs ! Or ce qui fait mal aux tripes chez les personnes, c’est le travail. Être plus égaux, disposer de services publics, bien sûr, mais pour quoi faire ? Si c’est pour produire la même merde, si c’est pour être aussi en difficulté vis-à-vis de son travail… La question du manque de souveraineté sur le travail est au cœur de la difficulté de la conflictualité sociale actuelle. Or, conquérir cette souveraineté c’est sortir nos vies du chantage du capital dans ses deux dimensions : le chantage à la dette d’investissement et le chantage à l’emploi. Sortir du chantage à la dette en supprimant le crédit et en subventionnant l’investissement grâce à une socialisation de la valeur par une cotisation économique se substituant au profit capitaliste — comme nous l’avons fait pour construire l’outil de soins dans les années 1960. C’est la condition pour que l’outil de travail soit libéré des griffes du capital. Sortir du chantage à l’emploi en faisant de la qualification (et donc du salaire) un attribut de la personne et non pas du poste de travail — comme nous l’avons fait pour la fonction publique, pour les salariés à statut ou pour les retraités. Cela se dit très simplement : le salaire doit devenir un droit politique ; chaque adulte doit être doté d’un salaire de sa majorité politique à sa mort, ce salaire à la qualification personnelle qui s’est popularisé comme « salaire à vie ».

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