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Le lacrymo et les 1 %


« Une préoccupation fondamentale traverse le débat sur le gaz lacrymogène : quelle est la relation entre le profit financier et la violence policière ? »

D’abord utilisé sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, le gaz lacrymogène fut peu à peu intégré, non sans entorses aux conventions internationales, à la panoplie du maintien de l’ordre civil aux États-Unis puis dans l’Empire colonial britannique et, enfin, partout dans le monde. Il a fini par jouer, dans le raidissement du contrôle social, un rôle central, qui en fait l’un des piliers des pouvoirs établis ainsi qu’un fructueux produit pour l’industrie de l’armement.

Irréprochablement documenté, ce livre décrit comment l’usage de ce gaz de combat a causé, par milliers, des blessures graves, des traumatismes, des mutilations, des asphyxies, des décès – mais aussi comment il s’inscrit dans un processus de maîtrise, par la force brute, des foules et de l’espace public.

L’autrice propose un récit saisissant, plus particulièrement axé sur le monde anglo-saxon, qui nous mène des laboratoires militaires américains et britanniques au salon Milipol, en passant par les lieux de résistance brutalement évacués – et qui fourmille de témoignages et de documents déclassifiés démontrant les dangers du maintien de l’ordre toxique.

Chercheuse en sciences sociales, enseignante à la Bournemouth University (Royaume-Uni), Anna Feigenbaum a publié Protest Camps (ZED, 2013) et Tear Gas (Verso, 2017).

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Même si l’industrie des équipements antiémeutes n’a jamais été aussi florissante, elle doit se contenter de miettes, en termes de chiffre d’affaires, comparée aux entreprises qui vendent des armes lourdes, des véhicules blindés ou des avions militaires. Alors qu’une seule vente de missiles rapporte des millions, le prix d’une grenade excède rarement 20 dollars. Il faut vendre beaucoup de gaz lacrymogène pour approcher du pactole que les autres marchands d’armes empochent. C’est pourquoi certaines entreprises du secteur, comme Rheinmetall Denel, sont liées à de plus gros producteurs d’armes. D’autres se fient au ciblage d’un segment particulier ou à l’offre de prestations sur mesure pour conserver ou conquérir des parts de marché. Et puis il y a des investisseurs qui pensent que le meilleur moyen de s’enrichir, c’est de diversifier les placements : immobilier de luxe, financement d’une ligne de produits innovants et d’une marque à la mode, collection de tableaux de maîtres ou d’objets d’art de grande valeur… Pourquoi ne pas y ajouter une gamme d’équipements antiémeutes ?

Laissez-moi vous présenter Warren Kanders, PDG du groupe Safariland. Ce consortium, spécialisé dans les équipements de sécurité et de maintien de l’ordre, est composé de 25 filiales ayant chacune sa propre marque. Safariland est comme une grande surface de la répression – et son patron est l’incarnation des 1 % de riches que dénonçait le mouvement Occupy. La fortune de Kanders, estimée à 180 millions de dollars, figure en haut des classements. Il siège au conseil d’administration du prestigieux Whitney Museum of American Art de New York. Il consacre son temps libre à faire la tournée des galeries d’art pendant que son épouse améliore la décoration de leur luxueuse demeure.

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#Multinationales #Police #Histoire #Oligarchie #luttessociales

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