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Le Logement


Compte-rendu de l’atelier Logement du 17 octobre à 19h au Berrichon (Montreuil)

L’atelier sur le logement animé par Damien Astier, urbaniste spécialiste de la question foncière, a été annoncé sur Démosphère, notre site et nos réseaux sociaux en ces termes :

Pourquoi se loger coûte si cher en région parisienne ? C'est quoi la spéculation, la charge foncière, le rendement ? Quels sont les « déjà-là » existants et expérimentés pour permettre à chacun de se loger ? Les promoteurs, les grands méchants ? Droit au logement ou droit à la ville ? La démocratie urbaine, ou comment construire un nouveau statut politique de l'habitant. Militants, urbanistes, architectes, habitants, curieux, venez découvrir et partager nos réflexions et idées sur le logement et la démocratie dans la ville, à l'occasion d'un atelier organisé par l'association Salaire à Vie et animé par Damien, urbaniste spécialiste de la question foncière, sur la base de son texte « Le logement dans la ville, un bien mis à mal » paru dans la Revue Foncière mai-juin 2019 (accessible sur demande).

Environ 40 personnes ont répondu à notre invitation, et nous avons eu un peu de mal à caser tout ce monde dans la petite arrière salle du Berrichon… Eve, une étudiante journaliste à Science-po a filmé le débat.

Nous avons commencé par un tour de table, pour demander à tous les participants de se présenter et d’expliquer en 3 mn en quoi la question du logement les interpellait. Il y avait parmi l’assistance des étudiants de l’école d’urbanisme de Paris, des étudiants en architecture, une architecte, des Gilets jaunes, des candidats aux prochaines municipales, des membres du Comité démocratique de Montreuil et bien sûr des membres d’ASAV, l’association du Salaire à vie, dont fait partie Damien, notre intervenant.

Beaucoup de personnes venaient chercher des éléments de compréhension de l’économie du logement et des mécanismes du marché.

Célia, une étudiante de l’école d’urbanisme de Paris s’interroge sur la manière d’empêcher l’exclusion des classes populaires des métropoles et la gentrification.

Léa qui travaille dans le logement social souffre de devoir expulser des locataires et de ne pas pouvoir trouver une solution pour chacun. Il faudrait plus de logement social.

Laurent se pose des questions sur un gros projet de rénovation urbaine à la limite entre Montreuil et Bagnolet.

Vincent s’interroge sur les contrôles à mettre en place pour empêcher que la recherche du profit n’amène à construire des habitations aux abords des autoroutes par ex.

Noëlle et Annie essaient de mettre en avant les demandes de GJ sur le logement dans une grande ville comme Paris.

Mohamed croit à la régulation étatique - à plus grande échelle que la commune - parce que si on laisse le marché du logement s’autoréguler, on court à la catastrophe. Les élus cassent le logement social pour vendre les terrains aux spéculateurs. Ce n’est pas le marché qui va régler le problème.

Pour Houssam, le logement est un droit fondamental comme manger ou se soigner. En France la sécurité sociale permet à tous d’avoir des soins, une retraite, une assurance chômage, des allocations familiales. C’est un système dont on pourrait s’inspirer pour le logement.

Robert se demande s’il faut mieux être locataire ou propriétaire.

Chantal a vécu dans plus de 20 communautés. Elle trouve absurde de vivre seul et d’avoir une machine à laver pour une personne, même si, en communauté, la répartition des tâches n’est pas toujours évidente. Elle pose donc la question de la mutualisation de certaines pièces et usages au sein de collectifs de logements.

Pour Philippe les classes populaires ont toujours été chassées de Paris. Les riches sont à l’ouest, les pauvres à l’est à cause des vents dominants. Ceux qui ne pouvaient pas habiter Paris, habitaient dans la ceinture rouge. Aujourd’hui ils sont repoussés aux limites de l’IDF. Les solutions sont de développer les transports en commun, le logement partagé comme en Suède, les services de santé (il y en a qui ont un pied à terre à Paris, uniquement pour venir s’y faire soigner) et de lutter contre la spéculation foncière.

Michel voudrait des informations concrètes sur les règles immobilières et les règles d’aménagement locales et des solutions locales pour limiter la spéculation.

Pour Fabienne chacun a droit à un toit et un emploi. Elle ne voulait pas devenir propriétaire mais elle a cédé par peur de l’avenir. Elle se sent schizophrène, car elle a fait un crédit. Pour elle le rapport débiteur-créditeur s’apparente au rapport maître-esclave.

Josette aussi se sent schizophrène, elle ne voulait pas être propriétaire mais seule avec deux enfants elle n’avait pas le choix.

Pour Antoine, la spéculation foncière désorganise l’espace urbain. La crise du logement engendre une crise des transports, de la mobilité, de l’environnement, etc.

A 20h Damien a pris la parole.

Quand j’ai commencé à travailler dans le foncier, l‘immobilier, le logement, je croyais en la règle d'urbanisme planificatrice, impulsé par l’Etat pour régir les choses, corriger les dysfonctionnements, aménager le territoire. Rapidement, j'ai compris qu'il en suffit pas de « bonnes » règles d'urbanisme ou de « justes » sanctions (PLU densificateur, quota légaux de logements sociaux loi SRU) pour développer la ville, pour que des logements se construisent. Il faut comprendre l'économie de l'immobilier, et donc du foncier, pour comprendre les mécanismes qui font qu'un territoire se meurt ou se développe, se trouve ou non confronté à la spéculation, qu'un foncier – un morceau de ville – se transforme.

Je développe ce soir une synthèse d'un texte publié dans « la Revue Foncière » mai-juin 2019,

La dynamique de transformation de la ville prend sa source dans l'émergence même de la notion de ce qu'est la ville, un lieu géographique de concentration humaine. Et cette concentration humaine s'est accélérée depuis la révolution industrielle car les populations (anciennement rurales) ont suivi les emplois, dont la localisation a été décidée par les entreprises, c'est à dire le capital. Le capital a gagné en profit en agglomérant certaines industries, autour de lieux stratégiques (matières premières, énergies, voies de circulation telles de chemins de fer et voies d'eau) et la division de plus en plus poussé du travail dans l'économie a fait de l'emploi – notamment salarié – un obligation pour la survie du peuple. L'urbanisation a donc accompagné l'arrivée massive d'habitat dans les villes, dont le territoire – le foncier – n'est pas extensible et devient alors soumis à une forte concurrence pour ses usages (habitat, activité, espaces et équipements publics) qui engendre un déséquilibre structurel en l'offre de logement et la demande d'habiter : le « marché » du logement intéresse alors de purs spéculateurs qui y voient une occasion de rendement et créent une distorsion des prix de marché d'usage par leur logique de prix « d'investisseurs ».

Quelques rappels sur le logement

En IDF, 1/3 à 50% des revenus des ménages sont aspirés dans le poste « logement » en loyer ou remboursement d'emprunt. Or la distorsion du marché du logement en zone tendue, structurellement déséquilibrée en offre et demande, rend le marché inopérant. Le marché n'est pas un mauvais allocataire sur des biens tels que les voitures car il ne s'agit pas d'un bien « immeuble », ni d'un bien d'absolue nécessité. Le marché reste également « opérant » pour les territoires sans déséquilibre profond entre l'offre et la demande.

Quelques éclairages sur la propriété

Les éléments constitutifs du droit de propriété sont :

l'usus : le droit d'habiter son logement (ou de le laisser vacant)

le fructus : le droit de louer son logement et d'en tirer des loyers

l'abusus : on peut en disposer matériellement comme on veut (travaux, etc…) et juridiquement (le vendre ou non)

Etre propriétaire ou locataire c’est pareil du point de vue financier.

Devenir propriétaire peut constituer une sécurité et une épargne forcée. Il ne faut pas confondre une accédant (qui achète son logement pour y vivre, il n'a pas forcément le choix) avec acquéreur-investisseur qui achète (place son argent) un actif immobilier pour en tirer un revenu, c'est à dire s'accaparer un part du travail d'un habitant en le louant bien au-delà des frais de maintenance et amortissement. C’est pareil pour le locataire, il ne choisit pas d’enrichir un proprio.

A Paris il y a deux sortes de propriétaires, le petit (acquéreur d'usage, voire petit-épargnant pour la retraite), et l’acquéreur investisseur, souvent des foncières ou fonds de pension.

En France 2/3 des propriétaires sont des propriétaires occupants et 1/3 louent. La proportion s’inverse à Paris : c'est une capitale de locataires, détenus par des propriétaires qui majoritairement n'y habitent pas.

Ce phénomène s'accentue avec les rendements bancaires actuellement faibles ou négatifs : la Bourse ne paie plus, l’immobilier est devenu une valeur refuge rentable pour le capital.

La spéculation foncière

Il s'agit de la dérivée de la spéculation immobilière.

C’est le foncier – la charge foncière – qui constitue la variable d'ajustement d'un bilan de promoteur (ou d'opérateur social), les autres coûts (constructions, participations, marge) étant plus ou moins incompressibles (sauf à construire de la cochonnerie). C'est donc sur le foncier sur les promoteurs se battent, et par le jeu de leur concurrence font grimper les valeurs. Ils paient le terrain, non pas au prix du marché d'usage de ce que supporte le sol, mais au prix qu’ils peuvent y consacrer dans leur bilan, une fois leurs frais et profits déduits.

Sans politique foncière forte (préemption, emplacement réservés, fiscalité de participation) les prix du foncier s’envolent dans les grandes villes et les collectivités ne peuvent plus rien acheter à prix d'usage quand elles doivent construire une crèche ou une route.

Plus les gens (acquéreurs finaux) ont d’argent et plus ils acceptent de payer cher et plus ça augmente la spéculation. Pour contrer la spéculation, il faut jouer sur la solvabilité, non pas en la stimulant à l'infini comme le prône les lobbys de l'immobilier et le gouvernement (défiscalisation, prêts à taux 0, etc) mais en encadrant les salaires (salaires maximums) et les loyers. Idem pour baisser les prix de l'immobilier : on fait comme si la seule chose qu’on pouvait moduler était l’offre, par la construction de toujours plus de logements, mais en zone tendue le déséquilibre est structurel et cela restera insuffisant même en bétonnant sans arrêt.

Le droit du sol est un énorme pouvoir que détient le maire (PLU, droit de préemption), et du coup il est soumis à d’énormes pressions de ses électeurs, des promoteurs, etc. Il est impératif qu'une collectivité connaisse et maîtrise les outils à sa disposition, pour espérer contrer la spéculation et contrôler son développement urbain.

Pour lutter contre la spéculation :

  • La collectivité doit avoir une stratégie foncière. C’est la commune qui a le plus de pouvoir car elle délivre les permis de construire (le PLU c’est la communauté de communes). Elle a aussi le droit de préemption (en cas de litige, le service des domaines intervient souvent dans le sens de la collectivité). La commune dispose aussi d’un levier fiscal et du PUP qui est une échange en nature en en cash (en échange du droit de construire, le promoteur finance une crèche, par ex.)

  • Le logement social. C’est un filet de sécurité financé par l’impôt. Mais le gouvernement actuel est obsédé par le remboursement de la dette et il rogne sur le logement social. Le livret A, géré par la Caisse des dépôts, finance le logement social sans intérêts, mais il est plafonné à 20 000€ ! L’impôt sert à payer la différence entre le logement social et le prix du marché.

Macron baisse les subventions et les APL. Il tarit les sources de financement et autorise les HLM à vendre, donc il privatise le logement social et fait d'une pierre 2 coups : le logement retourne sur le marché, et les habitants anciennement locataires deviennent emprunter auprès des banques, avec taux d'intérêt.

La misère du logement à Paris se trouve dans le parc de logements privés dégradé : ce sont les marchands de sommeil qui exploitent ceux qui n’ont pas les moyens d’aller dans le privé correct et/ou pas les papiers en règle pour aller dans le logement social.

  • L’encadrement des loyers

La 1ière demande d’encadrement des loyers remonte au 15ième siècle. Actuellement la loi ELAN a autorisé l'encadrement des loyers mais dans des conditions telles que cela ne peut guère concerner que Paris, et le calcul du loyer de zone est une usine à gaz avec pleins de dérogations, qui de surcroit ne peut s’appliquer qu'aux nouveaux baux (0,1% du parc de logement par an) restera indexé sur le loyer moyen de marché !

L'encadrement est nécessaire mais doit concerner tout le territoire communal voire métropolitain, être calculé sur une base de logement social (+10% du PLS par exemple) ou sur le revenu médian du territoire, et être assorti d’une compensation pour rester constitutionnel (droit de mise en demeure au maire d’acheter le bien avec possibilité d’en rester locataire (ce qui remunicipaliserait progressivement le foncier). Ce dispositif doit être prévu dans le PLU pour etre efficace et opposable sérieusement.

  • Créer un nouveau statut de propriétaire

Une collectivité pourrait décider de ne plus vendre son foncier mais de le louer (emphytéose) avec limitation de détention de droits de propriété pour l'acquéreur et loyers encadrés s'il loue son bien (Paris a expérimenté ce dispositif, sans nécessairement s'apercevoir de son potentiel révolutionnaire).

Conclusion

La question n’est pas propriétaire versus locataire, ni marché versus social. Il s’agit d’empêcher que le logement soit un objet de spéculation, une marchandise comme une autre, et qu’au contraire il soit le vecteur qui permette aux habitants de reprendre le pouvoir sur la ville en récupérant la démocratie sur leur territoire.

#Logement #Finance #Propriété #Privatisation

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