Note de Damien Astier (auteur du second article recommandé): Pour rendre la ville habitable, la solution n'est pas d'opposer le locataire au propriétaire, ni la propriété publique à la propriété privée, ni encore de réfuter le marché comme allocataire ou d'augmenter le pouvoir d'achat - ou d'endettement - des habitants.
Il s'agit au contraire de libérer la propriété de ce qui peut la rendre inhumaine, inaccessible, dangereuse, abusive : en un mot, dominante.
Il s'agit de déchoir le logement du statut de marchandise capitaliste, et de l'élever au rang de bien fondamental : ce n'est pas la propriété immobilière que la constitution doit rendre sacré, mais le droit d'habiter.
Et pour y parvenir, la bataille ne doit pas être menée sur le terrain des valeurs morales, mais sur celui, politique, de la valeur économique.
Sortons le logement de l'emprise du capital, et nous, citoyens et élus des villes, pourrons alors prendre nos responsabilités pour faire d'un droit opposable une réalité.
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Le choix des statuts d’occupation est au cœur des politiques du logement. Alors que la répartition entre propriétaires occupants, locataires du parc social et locataires du parc privé était et demeure extrêmement diverse selon les pays, la plupart des politiques publiques à partir des années 1970 ont connu une évolution convergente qui tendait à favoriser la propriété. La crise financière de 2008 a suscité de nouvelles interrogations sur la pertinence de cette orientation et sur la sécurité des instruments mis en œuvre pour la poursuivre.
Une progression générale de la propriété
Peu de pays ont une politique de neutralité entre statuts. Seules la Suisse et l’Allemagne favorisent ou ont clairement favorisé le locatif, et encore accordent-elles quelques aides à l’accession à la propriété. Les motivations semblent toujours de même nature. D’abord la préférence des ménages pour la propriété, qui est souvent présentée comme une caractéristique de la culture nationale : « les Français aiment la pierre », « les Belges ont une brique dans le ventre », « la maison de chaque Anglais est son château », « la propriété est le premier élément du rêve américain », etc. ; elle ressort de toutes les enquêtes, même celles qui sont conduites dans les pays de locataires comme l’Allemagne. Expression du refus de payer un loyer considéré comme à fonds perdus, la propriété apparaît, pour les catégories modestes et moyennes, comme le couronnement d’un parcours résidentiel réussi et comme un élément fort de promotion sociale. C’est ce qui explique que les politiques publiques d’accroissement du parc et de soutien de l’activité du bâtiment semblent moins coûteuses lorsqu’elles prennent appui sur l’encouragement à l’accession à la propriété car, pour devenir propriétaires, les ménages supportent un effort financier supérieur à celui qu’ils accepteraient de consentir pour louer, alors qu’ils prennent eux-mêmes en charge l’entretien de leur logement. Au souci de répondre aux préférences des ménages se mêlent diverses préoccupations : la propriété est souvent présentée comme un élément de stabilité sociale et comme le moyen d’une plus forte implication des habitants dans la vie de la cité ; ainsi, la diversité des statuts d’occupation dans un même quartier serait un facteur de mixité sociale propre à favoriser la requalification urbaine.
Élément déterminant pour les pouvoirs publics, l’accession à la propriété est surtout, pour les ménages modestes, le premier moyen de se constituer un patrimoine. C’est également le premier motif d’endettement. En France, la valeur des logements augmentée des terrains représentait près de 70 % du patrimoine des ménages à la fin de 2005 (Insee, 2006) et 64 % de celui des retraités en 2010 (Conseil d’orientation des retraites, 2014). Les ménages deviennent généralement propriétaires avant leur retraite et tendent ensuite à le rester. Environ trois retraités sur quatre sont propriétaires de leur logement. Le cas échéant, ils peuvent mobiliser tout ou partie de leur actif résidentiel en déménageant vers un logement moins coûteux ou en recourant au viager ou à un prêt viager hypothécaire. L’épargne forcée que représente l’accession à la propriété pour les ménages actifs leur permet théoriquement de désépargner lorsque leurs revenus diminuent avec l’arrêt de leur activité. Cette évolution vers des systèmes d’asset-based welfare intéresse autant les pays vieillissants, inquiets de l’équilibre de leurs systèmes de retraite, que les pays plus jeunes, mais qui ne disposent pas de systèmes de prévoyance efficaces.
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