Depuis quelques mois, la compétition féroce que se livrent les plateformes de livraison (Deliveroo, Uber Eats, Glovo) a profondément modifié la sociologie des livreurs à vélo. De plus en plus dur et de moins en moins bien payé, le métier de coursier « indépendant » a attiré une population jeune et très précaire, parfois mineure et étrangère, qui ne reste généralement pas longtemps sur l'application.
C’est un véritable bal qui se tient ce soir sur la place de la République. Il est 21 heures, quelques jours avant Noël. Ils sont en vélo, en Vélib’, en scooter. Ils sont couverts de la tête aux pieds ou en jogging-sweat, tenue bien légère pour le climat hivernal. Ils attendent leur prochaine course postés près d’un banc, ils font le tour de la place pour éviter le froid, ils filent en deux-roues sans s’arrêter le long des voies de bus. Ce sont des livreurs à vélo. Souvent reconnaissables grâce à leurs vestes fluo marquées d’un logo, ils restent la plupart du temps invisibles ou du moins anonymes. Difficile d’établir un « profil-type » tant ils sont nombreux et différents, tant leurs organisations ne sont pas, pour l’instant, représentatives de leur diversité. Les livreurs à vélo ont souvent des caractéristiques communes et, pour certains, un sentiment d’appartenance à un « collectif », mais le turnover est si élevé – un coursier travaillerait en moyenne six mois sur une plateforme avant de s’en aller – qu’à peine pense-t-on les avoir identifiés, ils ont déjà changé.
La « lune de miel » des férus de vélo
Pour comprendre la sociologie des livreurs à vélo aujourd’hui, il faut donc remonter à la sociologie des débuts, lors de l’arrivée des plateformes. À l’époque, Tok Tok Tok est la première venue, en avril 2014, suivie par Take Eat Easy à l’été 2015. Jérôme Pimot, qui se définit aujourd’hui comme le « porte-parole des livreurs en lutte », a commencé à ce moment-là. « J’ai sans doute été l’un des premiers livreurs à vélo de France, confie-t-il avec un sourire. Le profil des livreurs n’était pas du tout le même. C’étaient des sportifs, un peu écolo, férus de vélo. »
