Au mouvement des « gilets jaunes » le chef de l’État français a répondu en lançant un « grand débat national ». Ce genre d’exercice postule que les conflits sociaux s’expliquent par des problèmes de communication entre le pouvoir et ses opposants, plutôt que par des antagonismes fondamentaux. Une hypothèse hasardeuse…
La peur. Pas celle de perdre un scrutin, d’échouer à « réformer » ou de voir fondre ses actifs en Bourse. Plutôt celle de l’insurrection, de la révolte, de la destitution. Depuis un demi-siècle, les élites françaises n’avaient plus éprouvé pareil sentiment. Samedi 1er décembre 2018, il a soudain glacé certaines consciences. « L’urgent, c’est que les gens rentrent chez eux », s’affole la journaliste-vedette de BFM TV Ruth Elkrief. Sur les écrans de sa chaîne défilent les images de « gilets jaunes » bien déterminés à arracher une vie meilleure.
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Le mouvement des « gilets jaunes » marque en effet le fiasco d’un projet né à la fin des années 1980 et porté depuis par les évangélistes du social-libéralisme : celui d’une « République du centre » qui en aurait fini avec les convulsions idéologiques en expulsant les classes populaires du débat public comme des institutions politiques (8). Encore majoritaires, mais trop remuantes, elles devaient céder la place — toute la place — à la bourgeoisie cultivée.Le « tournant de la rigueur » en France (1983), la contre-révolution libérale impulsée en Nouvelle-Zélande par le Parti travailliste (1984) puis, à la fin des années 1990, la « troisième voie » de MM. Anthony Blair, William Clinton et Gerhard Schröder, ont paru réaliser ce dessein. À mesure que la social-démocratie se lovait dans l’appareil d’État, prenait ses aises dans les médias et squattait les conseils d’administration des grandes entreprises, elle reléguait aux marges du jeu politique son socle populaire d’autrefois
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Si le projet d’escamoter du champ politique la majorité de la population tourne à la bérézina, un autre chapitre du programme des classes dirigeantes, celui qui visait à brouiller les repères entre droite et gauche, connaît en revanche une fortune inespérée.
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Cet hiver, les revendications de justice fiscale, d’amélioration du niveau de vie et de refus de l’autoritarisme du pouvoir occupent bien le devant de la scène, mais la lutte contre l’exploitation salariale et la mise en accusation de la propriété privée des moyens de production en sont largement absentes. Or ni le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, ni le retour aux 90 kilomètres à l’heure sur les routes secondaires, ni le contrôle plus strict des notes de frais des élus, ni même le référendum d’initiative citoyenne (lire « Qui a peur de l’initiative citoyenne ? ») ne remettent en cause la subordination des salariés dans l’entreprise, la répartition fondamentale des revenus ou le caractère factice de la souveraineté populaire au sein de l’Union européenne et dans la mondialisation.
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Le président français devra néanmoins résoudre un paradoxe. Appuyé sur une base sociale étroite, il ne pourra mettre en œuvre ses « réformes » de l’assurance-chômage, des retraites et de la fonction publique qu’au prix d’un autoritarisme politique renforcé, répression policière et « grand débat sur l’immigration » à l’appui. Après avoir sermonné les gouvernements « illibéraux » de la planète, M. Macron finirait ainsi par en plagier les recettes…

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