« C’est d’abord pour vaincre les révoltes paysannes et plébéiennes que le dispositif « police-justice-prison » s’est mis en place, durant la constitution monarchique de l’appareil d’État »
« L’histoire n’est pas linéaire mais dischronique ; les reterritorialisations anachroniques y côtoient les virtualités futuristes » Félix Guattari, Qu’est-ce que l’écosophie ?, Ligne/Imec, 2013, p.290
La succession des Actes des Gilets Jaunes, à Paris et dans les grandes villes, a replacé sur le devant de la scène la répression des classes populaires. L’histoire des organes de la répression est indispensable pour comprendre la criminalisation des mouvements sociaux. Mais les événements de la répression sont souvent mieux connus que les soulèvements eux-mêmes, leurs formes de subjectivation, d’action, de regroupement, de militance. De même, les expressions de la communauté rurale, des pensées et comportements des paysans sont le plus souvent laissés à la marge de l’histoire écrite. Dans l’occupation des ronds-points, dans l’auto-organisation des assemblées, des formes de socialité, de solidarité et de communauté se sont tissées non pas seulement dans les grandes villes mais sur tout le territoire, notamment dans ses zones rurales ou périphériques. L’excentricité de l’occupation des ronds-points, de l’organisation des blocages et des points de barrage, par rapport aux lieux de grèves syndicales et politiques habituels, s’inscrit certes dans l’élargissement continu de la production par la circulation (des marchandises, de l’argent, de l’information : logistique, finance, numérique et mass-médias). Mais aussi dans les transformations qu’ont subi les territoires en France durant les trois dernières décennies : la « rurbanisation » prédominante de l’espace extérieur aux métropoles. C’est ce qui a donné au surgissement du mouvement des GJ l’aspect d’une nouvelle « fronde » populaire. Dans un système redistributif où la moitié de la population ne paie pas d’impôt sur le revenu, l’augmentation des taxes est la manière la plus directe de faire payer les pauvres. Exactement comme sous l’Ancien régime.
Étonnante superposition qui fait apparaître au XXIe siècle un mouvement social assez puissant pour persévérer malgré sa répression brutale, tout en étant proche des séditions populaires qu’a connu la France durant ce long cycle de soulèvements paysans et plébéiens au XVIe et XVIIe siècles. La riposte des GJ ressemble au réveil de cette tradition enfouie, vaincue par la répression militaire et judiciaire de la monarchie et le plus souvent laissée dans l’ombre, au sein même du marxisme, de la centralité prolétarienne. Leurs ambivalences, entre insurrection et conservation, résistance et réaction caractérisent des rébellions exposées à un changement de régime d’historicité. Leur refus d’une direction incarnée et d’une organisation disciplinée repose le problème du nouage entre répression et subjectivation, dont dépend la capacité d’un soulèvement populaire à s’inventer lui-même, dans l’antagonisme et l’adversité.
Le lundi qui suivit le samedi 1er décembre 2018 à Paris (l’Acte 3), pas moins de cinq salles d’audiences étaient dévolues aux comparutions immédiates des « factieux » et « séditieux » (selon les termes du ministre de l’Intérieur C. Castaner). En vérité, des ouvriers, artisans, techniciens, intérimaires, chômeurs, nombreux à venir de province

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