Début juin, Le Monde lance un appel à témoignage. Il cherche plusieurs générations au sein d’une famille qui seraient prêtes à témoigner de leur vision du travail. Le thème m'inspire. J'écris, taille mon texte, l'envoie. "Une erreur est survenue. Veuillez réessayer ultérieurement." Impossible. C'est un signe. Le moment est venu de lancer mon blog, avec une chronique sur le monde du travail.
Le monde du travail, c’est un monde froid et dur. A côté, l’école porte une aura maternelle. L’université est un cocon intellectuel d’où je m’extrais péniblement pour basculer dans l’univers de la survie. Travailler, gagner sa vie, son pain, se vendre, être placé, pistonné, faire ses preuves, tout accepter jusqu’à l’usure, jusqu’à la corde…
Il y a un épouvantail plus terrifiant que le monde du travail, c’est celui du monde où il n’y a pas de travail. On nous l’agite devant les yeux, cet épouvantail au nom qui sonne mal : chômage. Chô-mage. Le nom même fait penser à une courbe, qui monte et qui descend. Depuis neuf mois, je suis au chômage. Après six années d’études, où j’ai cherché ma voie, où je suis devenue une « bête à concours ». La bête de concours se rapproche-t-elle de l’animal ou de l’idiot ?
Pourquoi tant d’amertume aux bouts de mes doigts ? Mon père m’avait prévenu. Le salariat, c’est de l’esclavage déguisé. Je l’ai su très tôt. Mes parents ont induit, chez mes sœurs et moi, une philosophie de l’épanouissement. Soyez heureuses ; l’argent ne fait pas le bonheur.
J’ai opté pour des études supérieures, avec une grande soif de connaissance. Après une licence qui a étanché ma soif et ouvert mon esprit, il a fallu choisir. Quelle porte pour rentrer dans ce monde ? J’ai voulu aller vers les plus faibles, les fracassés, les violents… Éducateur spécialisé. Au bout de trois mois de formation, rien que la théorie m’évoquait des souffrances que je ne saurais affronter. Six mois plus tard, j’arrêtais… pour rentrer par une nouvelle porte. Après l’école, le collège, le lycée, la fac, retour à l’école, cette fois-ci du côté du tableau noir. Cette boucle me déplaisait, tout comme le système dans lequel je devais me mouler, me fondre pour devenir un agent de l’État. Professeur des écoles stagiaire. J’avais déjà fait des stages avant, ces excursions dans le monde du travail, où on se sent bâtard, plus étudiant, mais pas encore professionnel. Là, c’était le statut le plus bancal possible, pas étudiante, mais pas enseignante. Contractuelle, pas fonctionnaire. Mais attention, toujours, toujours obéissante.
Pour la deuxième fois, j’ai entendu « Tu as raison d’arrêter maintenant. Quand tu rentres dans le métier, c’est plus difficile de changer de voie au bout de plusieurs années. »
Et maintenant ? J’envie un peu ma sœur, qui a surtout vécu du RSA. Elle élève sa fille, sans soucis. Il faudrait que je rencontre quelqu’un, "qui a une bonne situation", comme dirait ma grand-mère. Je sais bien qu’au fond de moi, des passions sommeilleraient, prêtes à ressurgir. J’ai pris le temps cette année, pour faire naître une ambition. Sage-femme, assistante maternelle, orthophoniste, art thérapeute, auxiliaire de puériculture, animatrice socio-culturelle, formateur français langue étrangère, écrivain, scénariste, psychomotricien, enseignante en école hors contrat, libraire… J’ai rentré tout ça dans un tableur Excel, avec les pour et les contre. Mon père me disait « Pourquoi tu ne fais pas pâtissière ? Au lieu de faire tout le temps des études. » A chaque nouvelle idée, ma mère m’envoyait des fiches métier et des liens vers des formations. Puis elle s’est lassée.
Il y a eu une enquête métier et un stage décisifs. Au cours de ce stage, j’ai été formée, et non formatée. C’était décidé. Je serais journaliste. Ma mère m’a encouragée et mon père… Il m’encouragera selon le journal pour lequel j’écrirais.
