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Vincent Jarousseau : « Les ouvriers ont été abandonnés »


Pendant deux ans, il est allé à la rencontre des habitants de trois communes dirigées par l’ex Front national — en Lorraine, dans le Pas-de-Calais et le Gard. Un récit documentaire paru sous forme de roman-photo en 2017 : L’Illusion nationale. Puis Vincent Jarousseau s’est installé à Denain, dans le Nord : une ancienne ville sidérurgique. Les usines ont fermé ; le taux de pauvreté est aujourd’hui de 44 % et près de la moitié des Denaisiens n’est pas diplômée. Chômage et abstention massifs ; Marine Le Pen à plus de 57 % au second tour des présidentielles de 2017. Au quotidien, le photographe a suivi Loïc (en contrat d’insertion), Tanguy (livreur), Guillaume et Aline (chômeurs), Manu (au RSA), Fatma (en contrat Parcours emploi compétences) ou encore Michaël (routier). Des paroles invisibilisées, écrit l’auteur dans son second roman-photo, Les Racines de la colère, celle d’une France qui « a du mal à boucler ses fins de mois », endosse parfois un gilet jaune et subit sans cesse « la main invisible du marché ».

« Avant » : ce mot revient dans la bouche des personnes que vous interrogez. Avant, c’était mieux — ou moins pire. Mais avant quoi, au juste ?

Cet adverbe revient en effet fréquemment. Dans mes deux livres, j’ai fait le choix de documenter des territoires en déprise. À Hayange, Hénin-Beaumont, Denain et dans une moindre mesure Beaucaire, nous sommes dans de petites villes où la fin des Trente Glorieuses, et la désindustrialisation qui a suivie, ont eu des conséquences sociales particulièrement violentes. Ceux qui ont connu directement ou indirectement cette période se réfèrent à cet « avant ». Comme j’ai voulu le montrer dans la bande dessinée qui introduit Les Racines de la colère, non seulement les emplois industriels ont disparu brutalement mais c’est toute l’organisation sociale régie par le patronat et les syndicats qui s’est écroulée.

Ces personnes expriment-elles de la nostalgie ?

À aucun moment. Elles ne considèrent pas cette période comme une sorte d’Éden perdue : c’est surtout une mélancolie qui se manifeste, l’effet du temps qui passe.

« Perdre les ouvriers, c’est pas grave », avait dit François Hollande dans le cadre du « dossier Florange », en 2012. Comment cet abandon résonne-t-il dans votre travail ?

Très clairement, je crois. Les ouvriers se sont massivement reportés vers l’abstention ou le vote d’extrême droite. Ils ne se cachent pas pour le revendiquer — dans L’Illusion nationale, notamment. C’est particulièrement vrai à Hayange où l’élection du frontiste Fabien Engelmann intervient un an à peine après l’extinction définitive des hauts-fourneaux du site de Florange situé juste à côté. Mais au-delà, cette disparition de la classe ouvrière, en tant que classe sociale structurée et organisée, a accéléré le processus d’individualisation des rapports sociaux engagé depuis des décennies. La social-démocratie française et européenne est complice de la mise en œuvre de ce processus avec les libéraux. Elle n’a pas mesuré la violence engendrée par la disparition des cadres d’organisation de la classe ouvrière. Je crois que c’est particulièrement présent et visible dans les récits de vie que l’on peut lire dans Les Racines de la colère.

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#Luttedesclasses #exploitation #Giletsjaunes #Précarité

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