Les années quatre-vingt ont vu émerger, tant dans les mouvements sociaux que dans le débat intellectuel, ce que l’on peut appeler « une culture de la résistance ». À l’opposé des grandes espérances utopiques des années soixante, elle apparaît comme un modeste travail de deuil et de dégriserie. Au risque de se réduire parfois à un discours minimaliste accordé aux menus plaisirs de la « première gorgée de bière ».
C’est l’indice d’une conjoncture. Celle d’une crise du futur.
Or, il existe une pathologie de l’avenir obscurci, et pas seulement des traumatismes passés1. La rhétorique de la résistance serait-elle le symptôme d’une telle pathologie dans le discours politique ?
Une crise de la temporalité sociale ?
L’affaissement des horizons d’attente est d’abord un phénomène social. Le ciel bas et lourd de la crise modifie la relation à l’avenir. Elle renforce le souci de conservation au détriment de l’imaginaire anticipatif. L’action des chômeurs s’inscrit ainsi dans un régime temporel de l’instantané et de l’immédiat plus que dans le projet.
Point de lendemain : « Ceux qui se situent dans une perspective dominante de conservation éprouvent un fort sentiment de crainte et d’insécurité devant des lendemains jugés incertains et menaçants. Ils visent d’abord et avant tout à assurer le maintien de leurs actuelles conditions d’existence. En revanche, les informateurs engagés dans une perspective dominante de conquête [… ] visent principalement à créer un présent autre et à produire leur histoire dans le sens désiré. Chez les premiers, le système des fins est principalement orienté vers la reproduction du présent, chez les seconds, il est surtout orienté vers la production d’un présent autre »2.
L’affaiblissement de l’anticipation traduit un étranglement de la perspective temporelle. Car, à la différence de la prédiction, elle souligne le caractère non passif mais intentionnel de l’avenir. Elle contribue à la construire en le vivant au présent sous les modes provisoires de l’espérance, du projet, ou de l’utopie.
À un deuxième niveau, cette crise de la temporalité sociale s’articule à une crise « de longue durée », celle de la temporalité historique élaborée à partir de la Révolution française, qui lie l’idée de progrès et l’accélération historique. Ce qui est en crise pourtant, c’est moins l’idée du futur que les contenus de l’attente. Au terme de ce siècle obscur, les raisons multiples en sont assez évidentes. Il y a d’abord les désillusions du progrès et la débâcle d’un avenir bureaucratiquement administré. Il y a ensuite le brouillage de l’inscription spatiale et temporelle des politiques : la discordance des espaces et des temps sous l’effet de la mondialisation marchande. Il y a enfin l’échec des politiques d’émancipation « réellement existantes ». Nous sortons de ces épreuves défaits. Pas mouillés comme des chiens battus, ainsi que le dit Péguy, mais doublement ou triplement défaits, par le stalinisme et par les avatars mitterrandiens ou blairistes de la social-démocratie.

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