Commentaire d'ASAV: L'incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, nous offre le spectacle assez révoltant de milliardaires français qui essaient de redorer leur blason en faisant assaut de dons de millions d’Euros pour sa reconstruction, et des commentateurs médiatiques qui comptabilisent avec autant de ferveur que de gourmandise les sommes promises. Ces sommes, qui seront en grande partie défiscalisés, ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan du pognon de dingue que ces grands prédateurs nous ont piqué. Notons que seules les pierres ont droit à leur "générosité". Les humains, non. Les travailleurs qu’ils exploitent ne veulent d’ailleurs pas de leur charité, ce qu’ils veulent c’est bénéficier des richesses qu’ils produisent au lieu que leur travail serve à enrichir le capital.
Nous vous proposons ici deux articles anciens du Diplo décrivant cette invasion délétère de "Dames patronnesses" qui nous ramène loin en arrière :
1. Invasion de la charité privée, de Frédéric Lordon et dont voici la conclusion:
Tout se tient : l’évanouissement du politique comme pratique collective, supposant par construction un degré minimal de centralisation, abandonne le terrain à la morale individuelle, seule forme de régulation sociale tolérée par le libéralisme. Des lois pour personne, de l’éthique pour tout le monde ! On peut sans doute mesurer les progrès du libéralisme à ceux du moralisme généralisé, substitué de plus en plus à l’action de l’Etat social réputé totalitaire, même si, par un paradoxe typique du libéralisme, seul l’Etat policier-carcéral échappe à ce glissement de terrain et n’a aucune inquiétude à se faire ; le noyau dur résistant de l’Etat, une fois tout le reste enlevé, ce sera lui : s’il est une chose que les plus riches continueront d’accepter de financer de leurs impôts, ce sera le maintien de leur ordre. Pour le reste, la morale fera l’affaire. Transformer la politique publique en moralisme ploutocratique, et prononcer ainsi la dissolution définitive de l’Etat social, voilà peut-être la nouvelle – l’ultime – frontière libérale.
2. Les riches entre philanthropie et repentance, d'Ibrahim Warde et dont voici quelques extraits:
...
En plus des avantages fiscaux — les dons sont déductibles des impôts — la philanthropie fait en effet partie intégrante de la stratégie de relations publiques, ou même de marketing des entreprises.
...
D’autres voix s’inquiètent des idées que les titulaires de très grosses fortunes cherchent à véhiculer par le truchement de leurs fondations. Le milliardaire George Soros est particulièrement visé.
...
Enfin, comme par le passé, la philanthropie peut être le moyen de s’acheter une respectabilité, voire de couvrir des méfaits. Au moment de son inculpation, le financier Michael Milken chargea une société de relations publiques d’orchestrer une campagne philanthropique savamment médiatisée (10). De même, M. Charles Keating, le plus célèbre des patrons de caisses d’épargne en faillite, était l’un des principaux bienfaiteurs de l’ordre de Mère Teresa ; lors de son procès, cette dernière écrivit d’ailleurs au juge pour lui demander de se montrer clément (11). Quant à l’homme d’affaires Armand Hammer, il avait si bien endossé l’habit du mécène et du bienfaiteur — alors même qu’il se livrait à des filouteries en tout genre — qu’il avait failli obtenir le prix Nobel de la paix (12).
D’occasionnelles controverses n’empêcheront pas la philanthropie de continuer à jouer un rôle-clé dans un système où l’Etat poursuit son régime minceur, où la loi n’impose pas de laisser ses biens à sa progéniture, et où le self-made-man est toujours vénéré.
