Joël Martine, professeur de philosophie et militant altermondialiste, a publié « Le viol-location, liberté sexuelle et prostitution » aux éditions L’Harmattan. Il est auteur de l’article « Pornographie : retournons la caméra ! », dans le livre collectif « Pornographie : imaginaires et réalités », éd. Mouvement du Nid et Éditions Libres Cultures. Ce petit livre alterne contributions intellectuelles et montages de dessins ou photos réalisés par des garçons et des filles lors de séances de prévention. C’est le reflet de pratiques militantes : un colloque en novembre 2016 et des interventions auprès des jeunes (1).
FS : Pourquoi, après avoir écrit sur la prostitution, avez-vous choisi d’écrire sur la pornographie ?
JM : Pour plusieurs raisons. D’abord, on ne peut pas parler des rapports de genre ou des inégalités de genre indépendamment des pratiques sexuelles, dont j’ai toujours pensé qu’elles étaient un opérateur fondamental de la domination des femmes, et même de la domination en général –comme le montre l’argot, par exemple —donc il faut en parler. Or par ailleurs, dans les films pornographiques, la violence et la soumission sont très majoritairement présentes. Un exemple, la scène où un pénis éjacule sur le visage extasié d’une femme : cette scène n’a aucun intérêt en matière de plaisir sexuel proprement dit et pourtant elle est devenue un lieu commun dans les vidéos. Pourquoi ? Et quel est l’impact de ces images sur la vie des spectateurs et leurs rapports avec les femmes réelles ? Par ailleurs, on se rend compte que la demande est énorme : il y a plus de spectateurs pour les images pornos que pour la totalité des spectacles sportifs. Dans les représentations sociales de la sexualité, les images pornographiques se sont taillé la part du lion. Elles sont la principale source d’information sur les détails physiques de la sexualité. Enfin les actes vus dans les vidéos pornographiques deviennent des modèles à suivre. On a affaire à un phénomène massif, donc il faut en parler.
En 2016 j’ai lu un article d’Isabelle Sorente : L’envers du X. Cette lecture m’a ouvert les yeux ! Si vous ne deviez lire qu’un seul texte sur la pornographie, lisez cet article, on le trouve sur plusieurs sites Internet : c’est un compte-rendu du film Shocking Truth, d’Alexa Wolf, un documentaire sur les tournages de films pornographiques, il montre les réactions des actrices, souvent coupées lors du montage : la douleur, l’écoeurement, les pleurs. Il comporte des interviews. Une actrice, parlant de son vécu des tournages dit qu’elle se sent traitée comme un animal …
C’est dans ce contexte que s’est tenu en novembre 2016 à Marseille le colloque Pornographie : imaginaires et réalités, à l’initiative de la délégation des Bouches-du-Rhône du Mouvement du Nid. Dans la première contribution à ce colloque, la psychologue clinicienne Hélène Rémond décrit le fonctionnement du milieu de la production de films porno (réalisateurs, acteurs et actrices, fans) à partir du témoignage d’une actrice qu’elle a suivie en psychothérapie. Le but de ce colloque était de relancer un débat sur la pornographie non à partir d’une analyse des images mais d’un dévoilement du réel vécu.
Par ailleurs en avril-juin 2017 un dossier sur le X est paru dans la revue du Mouvement du Nid, Prostitution et Société, coordonné par Claudine Legardinier et Sandrine Goldschmidt.
FS : La diffusion massive de la pornographie, conséquence de la « libération sexuelle » des années 60, a muté en une industrie vendant une extrême violence où les limites sont sans cesse reculées par un phénomène de surenchère. Vos commentaires sur cette évolution de quelque chose qui se présentait comme libérateur en un retour en force de la domination masculine sous sa forme la plus brutale ?
JM : Je pense qu’il faut d’abord se demander pourquoi c’est si massif, et après se demander ce qui s’est passé dans ce moment historique où on est passé d’une pornographie des années 60 qui avait un aspect émancipateur—ou plutôt qui était vécue comme telle au niveau des consommateurs—à la situation actuelle où la violence prédomine. D’abord, et d’une façon générale, il semble que les images du sexe ont toujours eu beaucoup d’importance—surtout pour les hommes. La psychanalyse elle-même met en évidence que, dans la sexualité, ce n’est pas seulement le côté physiologique, ou le côté tactile, qui est important, mais le côté fantasmatique– les images sexuelles sont présentes dans toutes sortes de civilisation. Sur ce point, ce qui est nouveau depuis la fin du XIXème siècle, ce sont les techniques : le cinéma, qui a apporté un supplément de réalisme aux images, puis tout ce qu’ont apporté Internet, et la miniaturisation : il fut un temps où les hommes allaient dans les salles de cinéma pour voir des films pornographiques, maintenant on peut les avoir sur son portable. L’accès au porno est devenu beaucoup plus facile, et avec le zapping, Internet permet de passer en revue à toute vitesse des masses d’images. Bref, si les humains se sont sans doute toujours intéressés aux images du sexe, la technologie moderne permet de répondre d’une façon accrue à cette demande.
