La maturation du mouvement
Ce que l’on peut dire, c’est que sans transcendance de son point de départ, le mouvement a déjà infléchi son antifiscalisme originel vers des exigences plus sociales et générales (de la justice fiscale des petits commerçants ou entrepreneurs, à la justice sociale). Déjà, la lutte sur le prix de l’essence était une lutte qui dépassait la question de l’augmentation pour dénoncer l’arbitraire d’un prix sans rapport à une quelconque valeur. Les Gilets jaunes ne sont pas des experts économiques, mais tous savent que les prix du baril et du gaz varient énormément, dans un sens ou un autre, alors que le prix de l’essence ou du gaz sont des prix administrés, c’est-à-dire des prix politiques. La réforme avait bien une base matérielle : le renchérissement du coût des transports individuels utilisés essentiellement pour le travail. Mais une simple analyse marxiste en termes d’accroissement de la difficulté à reproduire sa force de travail, manquait l’essentiel, à savoir, ce qui fait passer de la grogne à la révolte, c’est-à-dire la prise de conscience progressive que tout « fait système » et qu’il n’y a pas de « petite Cause ». Dans les pays capitalistes développés où nous ne sommes effectivement pas dans la situation des émeutes de la faim, la révolte concerne le plus grand nombre, ce qui n’était pas le cas pour les anciennes taxes sur le gas-oil ou les transports routiers et le mouvement des bonnets rouges. Comme il le fera plus tard avec la revendication d’une augmentation du SMIC, le mouvement en est d’abord à vouloir substituer à l’arbitraire de l’État ou des prix de monopole, une sorte de « juste prix » à la Proudhon.
