Extrait de l'article portant sur la vraie démocratie ou la fin de la domination de classe
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Quand donc le peuple est-il au fond vraiment souverain, vraiment sujet politique ? Quand il se fait pouvoir constituant, et seulement à ce moment. Une fois qu’il s’est doté d’une constitution, il n’est déjà plus vraiment souverain. C’est pourquoi Marx, malgré toutes les limites qu’il discerne dans la Révolution française, reconnaît dans l’expérience de la Constituante un moment authentiquement politique : en se déclarant constituant, le peuple français a posé l’État politique comme ce qu’il est, à savoir le produit de sa propre activité. La « vraie démocratie », c’est précisément pour Marx ce moment où le peuple se reconnaît comme un tel sujet politique, ce moment où, en-deçà de toutes les institutions qui prétendent restreindre son activité politique, il se reconnaît comme ce qui institue toute forme politique. C’est en ce sens que la « vraie démocratie », ce n’est pas une constitution démocratique, mais c’est le moment constituant lui-même sans cesse recommencé.
Il faut toutefois envisager la « vraie démocratie » à un niveau plus profond. Il ne s’agit pas seulement de reprendre le contrôle sur les affaires politiques dont l’État s’était accaparé le monopole, c’est-à-dire de reconduire l’État politique à son sujet véritable (le peuple comme pouvoir instituant), mais aussi bien (c’est en vérité un seul et même geste !) d’étendre l’activité politique à toutes les sphères de la vie sociale. Reconquérir la sphère politique, c’est déjà la nier comme sphère séparée. La politique est une activité du peuple sur le même plan que ses autres activités sociales : vivre, travailler, satisfaire ses besoins, etc. Elle ne doit pas être cantonnée dans une sphère distincte. Au terme de la réduction de l’État politique à l’activité du peuple, c’est donc la distinction entre État et société civile qui perd elle-même son sens. Voilà ce qu’est la vraie démocratie à ce second niveau : non seulement l’exigence de récupérer l’activité politique qui avait été perdue dans la sphère de l’État, mais encore l’exigence de faire sortir la politique de cette sphère restreinte – l’exigence de cesser de définir la politique par rapport à l’État. C’est en tant qu’il existe concrètement, en chair et en os, que le peuple est le vrai sujet politique : en définitive, la « vraie démocratie » est donc cette configuration dans laquelle le peuple s’approprie politiquement toutes les dimensions de son existence effective, et plus seulement ce qui concerne son existence comme citoyen. Nous disions que, envisagé à un premier niveau, la « vraie démocratie » désigne l’acte constituant sans cesse recommencé : mais à un second niveau, cet acte constituant doit se comprendre non pas seulement au sens restreint qui a été celui de la Révolution française (comme pouvoir de constituer la forme de l’État), mais au sens d’une institution continuelle, par le peuple, de ses propres conditions d’existence.
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