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Raphaël Kempf : « L’action politique est de plus en plus criminalisée »


Yeux crevés, mains arrachées par de la TNT, retraitée décédée des suites d’une grenade lacrymogène tirée en pleine tête, photographes matraqués, journalistes blessés au FlashBall, manifestants passés à tabac : les plaintes, prises en charge par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), se multiplient depuis la naissance du mouvement des gilets jaunes, dans les rues contre la vie chère et le « président des riches ». L’acte IV1 restera peut-être dans les mémoires : près de 2 000 manifestants interpellés et plus de 1 700 gardes à vue — sept mois plus tôt2, le régime de Vladimir Poutine arrêtait quant à lui près de 1 600 manifestants critiques du « tsar ». Julien Coupat, dangereusement équipé de croissants, d’une chasuble fluo, d’une bombe de peinture et de gouttes pour les yeux3, n’allait pas tarder à être embarqué par une DGSI l’arme au poing : un cas, symbolique, parmi tant d’autres interpellations « préventives ». Nous rencontrons Raphaël Kempf, avocat au barreau de Paris, entre deux comparutions immédiates au tribunal correctionnel : comment le droit pénal est-il instrumentalisé par le pouvoir politique ?

L’état d’urgence, décrété suite aux attentats terroristes de 2015, a rendu possible l’interdiction de manifestations et l’assignation de militants à résidence. Au motif de notre sécurité, le pouvoir ne met-il pas en danger la notion même d’État de droit ?

L’état d’urgence a été utilisé dès son origine contre les mouvements sociaux. Il a été employé la première fois pendant la guerre d’Algérie, en 1955, pour mater les indépendantistes algériens et leurs soutiens. Le terme de mouvement social peut paraître dans ce cas un peu anachronique, mais le principe demeure le même : la disposition qui sera utilisée en 2016 pour interdire à des personnes de manifester avait été employée à l’encontre d’un instituteur communiste en poste en Algérie qui soutenait les indépendantistes. Il est utilisé à nouveau en 1985, en Nouvelle-Calédonie, durant la révolte kanak, puis pendant la révolte des banlieues en 2005, et, donc, après les attentats terroristes de novembre 2015. Lors de la COP21, la loi sur l’état d’urgence permet l’interdiction de la manifestation du 30 novembre 2015. Quelques mois plus tard, au printemps 2016, les préfets recourent à l’état d’urgence pour interdire à des personnes prises individuellement de manifester. Quant aux assignations à résidence, elles ont été utilisées dès décembre 2015 contre des militants écologistes à Rennes, Paris, en banlieue parisienne et dans quelques autres endroits. Elles ont touché entre 20 et 30 militants. On perçoit immédiatement comment un texte de loi prévu pour lutter contre le « terrorisme » est utilisé pour réprimer ou limiter la possibilité d’expression des militants politiques.

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#Répression #Militantisme

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