Yann Le Lann est maître de conférences en sociologie à l’université de Lille. Spécialiste du travail, il a coordonné l’enquête du collectif Quantité critique, composé de chercheurs et de doctorants de Lille et de Sciences Po Paris, qui a analysé le mouvement des « gilets jaunes » durant un mois. Le sociologue estime que l’identité du mouvement est centrée sur la reconnaissance du travail.
Sylvia Zappi – Quel est le profil des gilets jaunes que vous avez interrogé ?
Yann Le Lann – Ce qui ressort de nos questionnaires recoupe les informations déjà publiées sur ce mouvement : ce sont les classes populaires, employés et ouvriers, qui sont présentes sur les barrages. On y retrouve aussi beaucoup de femmes qui ont pris une place importante dans le mouvement, souvent en position pivot : c’est à elles qu’on fait confiance pour gérer des caisses de solidarité ou mener des actions. On trouve aussi une part importante de retraités. Tous nos questionnaires montrent qu’on a affaire à des personnes aux revenus inférieurs à 1 600 euros mensuels, voire très souvent juste au niveau du smic.
Ce mouvement est passé d’une revendication contre les taxes sur les carburants à une demande de hausse des salaires. Vous expliquez que c’est une bascule très signifiante. Pourquoi ?
Parce que c’est important pour comprendre le décalage entre la première perception de cette mobilisation et sa réalité politique, ce qui a donné lieu à un malentendu sur ce mouvement. Les premiers temps, les chaînes d’information l’ont présenté comme l’expression d’un ras-le-bol des territoires périurbains braqués contre la taxe sur les carburants. Le mouvement a eu l’intelligence de subvertir cette audience pour déplacer la revendication vers des enjeux de salaire et de retraite qui sont devenus le cœur de leur plate-forme.
A nos yeux, c’est donc la question de la reconnaissance du travail qui est en jeu. Ceux qui se mobilisent sont des salariés qui n’ont pas les moyens de se mettre en grève. Parce que leur budget est trop contraint ou parce qu’ils n’ont pas les ressources politiques autour d’eux pour porter une revendication salariale auprès de leur patron. Ou parce qu’ils ont déjà fait l’expérience d’une négociation salariale qui a échoué.
