A la télé, toute prise de parole d'un Gilet jaune est minée par des exigences contradictoires.
Avec le mouvement des Gilets jaunes, voici qu'on entend de plus en plus les "gens ordinaires", les individus lambdas, ni experts, ni politiques, ni syndicalistes, ceux que l'on n'entend habituellement que dans les micro-trottoirs, par exemple. Aux micro-trottoirs, aux reportages, succèdent les plateaux télé où le discours des Gilets jaunes peut se développer et se confronter à ceux des politiques et des journalistes.
Cette situation paraît devoir tourner au désavantage des Gilets jaunes. Contrairement à leurs interlocuteurs, ils ne sont pas des professionnels maîtrisant les codes médiatiques. Dans un célèbre texte (Sur la télévision, 1996), Bourdieu souligne l'inégalité entre "d'un côté des professionnels de la parole, dotés de l’aptitude à manipuler le langage soutenu qui convient ; de l'autre des gens moins armés et peu habitués aux situations de prise de parole publique" dans une situation d'énonciation où "tout est fait pour favoriser les favorisés".
"DES BEAUFS"
Mais la pérennité du mouvement finit par jouer sur cette distribution des rôles : d'une part les Gilets jaunes peuvent élire des porte-paroles (jugés plus à l'aise que d'autres dans ce genre de situation), d'autre part le succès des actions des Gilets jaunes, l'affolement du gouvernement, le soutien de la population, peuvent déstabiliser les professionnels. Comment parlent ces Gilets jaunes, quand ils ne parlent plus entre eux, sur Facebook, mais sont confrontés aux codes médiatiques ? Et surtout comment les autres (les politiques, les journalistes dominants) considèrent-ils et elles que ces Gilets jaunes parlent, doivent parler ?
