Même vingt-quatre ans après, Daniel Kirsch, 72 ans, se réveille encore certaines nuits en sueur, accablé par des bouffées de chaleur héritées de ses trente années passées à apprivoiser le métal en fusion. De son licenciement de l’aciérie luxembourgeoise de Schifflange, un jeudi d’octobre 1994, cet ancien boxeur amateur, oreilles boursouflées et nez à jamais de biais, se rappelle une longue journée à conduire. « Comme ça, pour réfléchir », explique ce père de quatre enfants. A la radio, Jacques Brel chantait : « La vie ne fait pas de cadeau/Et nom de dieu c’est triste ». « Dans ma tête, je n’avais qu’une question : à quoi va ressembler demain ? », se remémore l’ancien métallurgiste.
Cette angoisse, c’était celle de toute la région de « Minett », touchée de plein fouet par la lente agonie de l’industrie sidérurgique. Dans les années 1960, le secteur a représenté jusqu’à 31 % du produit intérieur brut (PIB) du Luxembourg. Alors pour ce confetti de terre enserré par ses voisins français, belge et allemand, le glas des hauts fourneaux, dont le dernier représentant a fermé en 1997, fut un drame national, qui fit « craindre l’anéantissement du pays », rappelle Louis Chauvel, sociologue à l’université du Luxembourg.
