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Dette : le chantage


Résumé de la conférence filmée de Renaud Lambert et de Sylvain Leder à propos du contre-manuel du Monde diplomatique : Manuel d’économie critique

Sylvain Leder prend la parole :

La presse et la télévision ne parlent pas d’économie. Elles défendent des intérêts particuliers, ceux des grandes entreprises. Nous, on va vous montrer que l’économie est une science sociale.

Voilà les questions qu’il faut se poser avec leur réponse :

  1. Quelle est l’origine de la dette ? - Le néo-libéralisme dans lequel les socialistes ont joué un grand rôle

  2. Faut-il payer la dette ? - Certainement pas !

  3. L’économie est-elle une science ? - Pas vraiment !

  4. La dette est-elle un enjeu de lutte avec le Médef ? - Oui...

1. L'origine de la dette

A partir du début des années 1980, la hausse massive du chômage, la baisse des allocations-chômage, la « flexibilité », l’autre nom de la précarisation des travailleurs, engendrent un endettement massif. Le gouvernement (socialiste) décide d’emprunter aux possédants au lieu de les taxer (et dans les années 1980, les taux d’intérêt étaient très élevés).

Les socialistes appliquent le « théorème » de Schmidt. [C’est un slogan politique devenu célèbre, énoncé par le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt le 3 novembre 1974 : « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain » Wikipedia]. L’argent donné aux entreprises est prélevé sur les salaires, et cela dure toujours.

[C’est Bérogovoy qui se charge, en 1985, de ce qu’on appelle la financiarisation de l’économie] dont le mot d’ordre est : Concurrence, marché, risque.

On assiste à la déréglementation (suppression de la séparation entre banques d’affaire et banque de détail), la privatisation de l’économie (création du MATIF en 1986), à quoi s’ajoutent les niches fiscales et l’explosion des dividendes. Le budget de l’état diminue et la dette grossit puis explose 10 ans plus tard.

Il fallait convertir la petite épargne en épargne collective et il y a eu une énorme campagne de publicité sur France 3 en 1983 pour convaincre les épargnants d’acheter des dettes d’état. L’émission se voulait un remake des 10 Commandements.

Voilà les trois premiers commandements :

Premier Commandement : Les produits financiers tu simplifieras

Second Commandement : La liquidité du marché tu favoriseras

Troisième Commandement : La libre-concurrence tu respecteras

2. Faut-il payer la dette ? (Renaud Lambert)

Le 13 octobre dernier, pendant le débat de la primaire de la droite, le « parti de la presse et de l’argent » n’a identifié qu’un seul ennemi : la CGT. Pour eux, aucune menace politique n’émane d’un parti politique, ni des Socialistes, ni de personne.

En France, il a toujours existé trois camps : Capital, travail, et sociale démocratie. Pour ce dernier camp, l’état devait jouer le rôle d’arbitre plus ou moins neutre dans l’antagonisme opposant les deux premiers camps. Or l’état n’est plus que l’ombre de lui-même. Sa main gauche est atrophiée et sa droite (la répressive) surdimensionnée. « L’Etat ne peut pas tout ! » comme l’a entériné Jospin.

Nuit Debout ne s’est pas non plus trompé d’adversaire. Ce n’est pas un homme ou un parti politique mais Pierre Gattaz, le dirigeant du MEDEF.

Il faut commencer par déconstruire leur discours et remettre en question ce qu’on nous présente comme des évidences. Par exemple : il faut rembourser la dette. Pourtant, le droit international permet des allègements de dette quand elle est « odieuse, illégitime, illégale, insoutenable ».

C’est exactement le cas de la Grèce.

L’équateur, en 2008, a réussi à obtenir de ne payer que 800 millions sur ses 3,2 milliards de dette, et si on ajoute les intérêts qu’il aurait dû payer, cela fait beaucoup plus.

Les Etats-Unis, lorsqu’ils ont « libéré » Cuba des Espagnols, ont imposé l’annulation de sa dette aux Espagnols en 1898.

Le Mexique avait tenté la même chose pour les mêmes raisons en 1861, mais, lui, a immédiatement été envahi par la France, le Royaume-Uni et l’Espagne.

En 1951 la république fédérale allemande croule sous les dettes et obtient un allègement qui équivaut à environ 90% de la dette, plus des privilèges sur le marché industriel.

On voit bien que c’est le rapport de force entre créanciers et débiteurs qui décide du sort de la dette. Depuis plusieurs années, Syriza — au pouvoir en Grèce à la suite des élections du 25 janvier 2015 — demande à bénéficier d’une conférence de ce type, animée par les mêmes préoccupations. Au sein des institutions bruxelloises, on semble toutefois partager le sentiment de Leonid Bershidsky : « L’Allemagne méritait qu’on allège sa dette, pas la Grèce. L’une des raisons pour lesquelles l’Allemagne de l’Ouest a bénéficié d’une réduction de sa dette, c’est que la République fédérale devait devenir un rempart de premier rang dans la lutte contre le communisme. (...) Les gouvernements ouest-allemands qui bénéficièrent de ces mesures étaient résolument antimarxistes. »

Le programme de Syriza n’a rien de « marxiste ». La coalition revendique une forme de social-démocratie modérée, encore commune il y a quelques décennies. De Berlin à Bruxelles, il semblerait toutefois que même cela soit devenu intolérable.

Sylvain Leder reprend la parole

La dette en soi n’est pas un problème. On ne parle pas de pays beaucoup plus endettés comme les Etats-Unis et le Japon. Le problème, c’est la gestion de la dette. A qui on doit l’argent ? Quel est le prix coûtant et le prix symbolique de la dette ?

Un Etat n’est pas un acteur ordinaire. Il peut s’endetter sur le long terme, il ne fait pas faillite (il faut défaut), il peut prélever des impôts pour rembourser ses dettes, etc.

Les Etats ont fait un choix entre respecter leurs engagements démocratiques avec les citoyens et respecter leurs engagements envers les banques. L’état français, socialiste, a clairement fait le second choix.

Si un état assez important refusait de payer, cela ferait exploser le système : les banques s’effondreraient et les nationalisations deviendraient possible parce qu’elles ne vaudraient plus rien.

Comment y parvenir ? Comment faire sortir l’intrus, la finance, de notre contrat social ?

[Sylvain n’a pas de réponse à cette question, mais nous à RS nous en avons une… et ça fait toute la différence !]

3. L’économie est-elle une science ? (Renaud Lambert)

La dette est d’abord et avant tout un outil de discipline. Il y a deux consignes incontournables (Traité de Maastricht) :

  • d’une part, le déficit des administrations publiques ne doit pas dépasser 3% du produit intérieur brut (PIB) ;

  • d’autre part, la dette publique ne doit pas dépasser 60% du PIB.

Pourquoi ces chiffres plutôt que d’autres ? Parce qu’il en fallait et qu’ils sont évocateurs…

Le chiffre de 3% a été « imaginé », selon l’économiste Guy Abeille, « en une heure, un soir de 1981, sur un coin de table, sans aucune réflexion théorique », à la demande de Mitterrand qui voulait une norme à opposer à ses ministres, etc. Trois a été choisi parce que « c’était un bon chiffre, un chiffre qui a traversé les époques, ça faisait penser à la Trinité ».

Quant au chiffre de 60%, pour en contester la logique, il suffit de rapporter le montant de la dette, au montant du patrimoine de la France et on obtient alors le chiffre de 10%. Tout cela est donc arbitraire, et magique…

Guy Sormans écrit en 2008 dans L’économie ne ment pas (!) : « Il n’existe plus qu’une seule économie : l’économie capitaliste de marché, l’économie libérale. Certains le regrettent mais nul ne peut le nier. On peut donc considérer qu’il existe un consensus sur l’efficacité supérieure de l’économie de marché, sans doute sans alternative. Une fin de l’histoire qui agace les idéalistes et les idéologues. Ceux-là en viennent à dénier à l’économie le statut de science. »

En 1932, Paul Nizan répondait déjà à Guy Sormans : « La pensée bourgeoise dit toujours au Peuple : « Croyez-moi sur parole ; ce que je vous annonce est vrai. Tous les penseurs que je nourris ont travaillé pour vous. Vous n'êtes pas en état de repenser toutes leurs difficultés, de repasser par leurs chemins, mais vous pouvez croire les résultats de ces hommes désintéressés et purs. » (Les chiens de garde).

Conclusion :

L’économie dominante offre aux puissants le moyen de consolider leur domination. Elle sert de rempart à la citadelle bourgeoise.

Pour finir, Sylvain raconte comment il a été invité avec des collègues enseignants à des rencontres enseignants/entreprises organisées par l’IDE, un think-tank dont le but est de « mettre l’entreprise au cœur de l’éducation », sur le thème : « l’Europe, une réussite ! » et en partie financé, semble-t-il par le ministère de l’Education nationale.

Le MEDEF est au travail, conclut-il, et sérieusement !

Et il finit sur une boutade : Renaud dit que le manuel d‘économie est une brique pour construire notre maison, moi je préfère que ce soit un pavé.

Note :

Voir ce court article de 2011 qui résume les causes et les mesures du « tournant de la rigueur » de Mitterrand en 1982/83

Pour écouter la vidéo, cliquer sur l'image


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