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Pourquoi Reseau-Salariat s'appelle-t-il Réseau-Salariat?


Le 1er février 2016, le groupe RS IDF a organisé sa seconde réunion des adhérents et sympathisants de RS en Ile de France depuis sa création en juin 2014. La première avait eu lieu en octobre 2014 après la fête de l’Huma où RS avait donné sa conférence gesticulée avec Franck Lepage. Cette fois-ci nous étions 45, à peu près deux fois plus nombreux que la première fois. La présence de Bernard Friot comme intervenant n’est sans doute pas étrangère à ce succès. Bien que grippé et obligé de parler fort dans une salle de café parfois un peu bruyante, il a tenu en haleine, comme à son habitude, tous les participants pendant une heure et demi. Nous lui avions demandé d’expliquer pourquoi l’association s’appelait Réseau-Salariat, alors même que beaucoup de monde aujourd’hui veut y échapper. Voilà ce qu’il nous a partagé :

Réseau-Salariat est né au lendemain des mobilisations contre la réforme des retraites de 2010. Des millions de personnes sont descendues dans la rue et pourtant la mobilisation s’est soldée par un échec. Pourquoi ? C’est sans doute à cause de la manière dont elle a été menée. Les mots d’ordre, les raisons de la protestation étaient sans doute les mots d’ordre de la défaite.

Tirant les leçons de cet échec, une trentaine de militants CGT, Solidaires, PC, FSU, trotskistes, anarchistes, Attac, Amis du Monde Diplomatique, se réunissent début 2011, et décident, en juin 2011, de fonder une association d’éducation populaire sur le constat que beaucoup de jeunes présents dans les manifs sur les retraites avaient une toute autre pratique de la lutte sociale, notamment à travers les réseaux sociaux.

Le 19 mars prochain, ce sera notre 4ième Assemblée Générale.

Pourquoi avons-nous appelé notre association Réseau-Salariat?

Pour les militants classiques du syndicalisme et de la politique, ce nom résonne curieusement. La CGT dit vouloir l’abolition du salariat. Alors pourquoi vouloir poser le salariat comme un projet à construire ?

Il y a toute une démagogie actuelle qui promet l’entrepreneuriat mâtiné d’un revenu de base. Alors comment, en préconisant le salaire à vie, convaincre des jeunes et des militants qui se sont mobilisés pour l’abolition du salariat, de construire le salariat ? En général, le salariat évoque la subordination à un employeur, à un emploi.

Le choix du nom de RS est lié à l’échec des négociations sur les retraites.

En face de la classe dirigeante, une classe révolutionnaire se construit. Elle met des siècles à se construire. La classe dirigeante est celle qui décide de ce qui a valeur du point de vue économique, celle qui maîtrise la production de la valeur. La classe révolutionnaire conteste à cette classe dirigeante, non pas le partage de la richesse, mais la production de la valeur. La classe révolutionnaire veut changer les règles du jeu. La bourgeoisie a été une classe révolutionnaire. Elle a changé la règle du jeu de maîtrise de la production par rapport à la féodalité. Ce qui se passe en 1789 est le produit des siècles antérieurs. Le but n’est pas de piquer dans la poche des patrons ; la prétention d’une classe révolutionnaire, c’est de changer le mode de production.

Le mode de production capitaliste repose sur des pratiques et des institutions qui ont mis de siècles à s’imposer, avec des moments de forte avancée, des moments atones et des reculs. Le droit de propriété lucrative se construit très lentement. Durkheim analyse les sociétés à partir de leur droit pénal. Le droit pénal au 18è s. interdit de chasser dans les bois d’un seigneur. Mais ce n’est pas le droit de propriété qui est en cause, c’est que la chasse est le privilège des seigneurs. Le droit de propriété se constitue plus tard, et, aujourd’hui, c’est un droit central. La justice ne peut rien contre la propriété lucrative.

La seconde institution qui s’est construite lentement contre le féodalisme, c’est le marché du travail. Il n’y a rien de tel dans la société féodale. Seule la société capitaliste peut écrire : « Les humains naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cette égalité juridique s’accompagne d’une violence sociale. Les non-propriétaires sont soumis à la loi des propriétaires lucratifs qui empêchent l’émergence d’activités qu’ils ne maîtrisent pas : « C’est moi qui t’embauche et c’est moi qui transforme ta capacité de produire de la valeur d’usage en valeur économique. Le salaire, c’est le prix de ta force de travail, c’est les biens et services nécessaires à ta production. Pour produire ta valeur d’usage, il te faut logement, transport, éducation, nourriture, c’est la somme de tes besoins ». Au cœur de la production capitaliste, il y a ce mépris considérable qui pose les personnes comme des êtres de besoin. Le capitalisme nie férocement que nous soyons des producteurs. Le rapport salaire contre force de travail est un rapport d’exploitation et d’aliénation dans lequel nous acceptons de nous reconnaître comme non-producteurs, comme des êtres de besoin : « Ben non, ce n’est pas moi qui décide… »

La troisième institution décisive de la pratique capitaliste de la valeur économique, c’est le crédit. (Le capitalisme repose sur 4 institutions, la 4ième, c’est la mesure de la valeur par le temps de travail, mais je n’en parlerai pas aujourd’hui).

Le mot crédit recouvre deux réalités différentes : pour pouvoir acheter un bien de consommation, il faut épargner ou s’endetter. Il faut du crédit. Mais cette forme d’endettement n’est pas spécifiquement capitaliste et n’a rien à voir avec l’achat des biens de production. Il n’y a aucune raison que l’investissement se fasse par le crédit. Ça peut se faire par le moyen d’une caisse d’investissement. Aujourd’hui, il y a prêt parce qu’il y a eu prédation. La ponction capitaliste est considérable (35% de ce que nous produisons chaque année). Qu’il s’agisse du crédit par création monétaire ou du crédit à partir des profits déjà constitués, nous sommes là dans l’institution proprement capitaliste. Ce n’est pas en changeant la création monétaire qu’on sort du capitalisme. Il faut supprimer la propriété lucrative et le crédit.

La spécificité de notre Réseau, et c’est pourquoi il s’appelle Salariat, c’est que ces institutions capitalistes sont déjà en voie de contestation. Le triomphe du capitalisme a généré des luttes. Au 20ième siècle, le mouvement ouvrier a produit des institutions très fortes mais il n’a pas été capable de les promouvoir. L’échec de 2010, qui vient de loin, de 30 ans en arrière, vient de ce que ce mouvement n’honore plus les institutions révolutionnaires qu’il a créées. Le salaire est au cœur du rapport d’exploitation comme du rapport d’aliénation. Le mouvement ouvrier a réussi à instaurer une alternative à la propriété lucrative, au marché du travail et au crédit, c’est le régime général de la Sécurité sociale, non pas la Sécu elle-même car tout existe déjà en 1945.

Le régime général récupère le tiers de la masse salariale : 400 milliards d’euros qui vont dans les caisses du régime général, gérées par des Conseils d’Administration élus qui élisent les dirigeants des caisses. Ils vont verser des salaires à des parents qui ne sont pas du tout dans la logique de la production capitaliste. Cela reconnaît que lorsqu’on éduque ses enfants, on produit de la valeur. La pratique capitaliste de la valeur réduit la production de valeur à ce qui s’opère dans les institutions du capital. Aujourd’hui le travail indépendant a largement disparu. Le commerce est franchisé, il met en valeur du capital. Il ne reste plus que les professions libérales, et elles sont actuellement dans le collimateur. Il est impossible aujourd’hui de vivre de son travail en vendant des biens et services sur les marchés. L’alternative au capitalisme est le régime général de la Sécu et le vote en catimini en en 1946 (22/10/46 précisément) du statut de la Fonction Publique.

Ces deux institutions changent le salaire d’une telle façon qu’elles constituent une alternative à la pratique capitaliste. Elles suppriment le marché du travail et la fonction d’employeur. Le mouvement salarié a inventé une institution radicale : le salaire à vie payé à la personne et non au poste de travail. Depuis 15 ans les gouvernements refusent de négocier le point d‘indice, c à d qu’ils lient de plus en plus le salaire au poste de travail.

En matière de santé, cela a permis à des gens qui ne sont pas sur le marché du travail de produire la santé. C’est pour ça que la classe dirigeante s’acharne à vouloir transformer la cotisation en CSG, pour que ce soit de l’impôt et non plus du salaire.

Pourquoi Réseau-Salariat ? Parce que précisément on ne peut mettre en cause le capitalisme que par du salaire socialisé. La seule réponse au revenu de base et au statut d’auto-entrepreneur, c’est le salaire à vie.

Généraliser le salariat, c’est généraliser le salaire à vie, comme droit politique à 18 ans. Mais ça ne suffit pas, il faut aussi interdire la propriété lucrative et le crédit qui nous font vivre sous un double chantage : chantage à l’emploi et chantage à la dette. Il faut instaurer la co-propriété d’usage des entreprises et verser des cotisations à des caisses de salaire et à des caisses d’investissement. Le couple cotisation/subvention s’oppose au couple profit/crédit.

C’est cet enrichissement-là de la citoyenneté pour lequel Réseau-Salariat milite.

Débat

-- Le salaire à vie sera lié au droit du sol. Il faut produire sur le territoire pour y avoir droit mais il peut y avoir des conventions avec des pays étrangers.

-- Il y a une aspiration chez les jeunes notamment à ne plus avoir d’employeur. Le capitalisme y répond par Uber : aucun droit social et enrichissement du capital. RS y répond par le salaire à vie et la co-propriété d’usage des moyens de production.

-- Ce qui a valeur économique résulte d’une convention. Pourquoi lier la valeur économique au travail ? Le fait de lier la valeur au travail fait partie de l’émancipation qu’a apportée le capitalisme. Ça a été révolutionnaire. Le fait de poser que c’est lorsque je me mobilise pour le bien commun je produits de la valeur, c’est quand même mieux que de lier la valeur au statut du prêtre ou à la caste. Les fonctionnaires, les salariés de milieux associatifs, tous ceux qui n’ont pas d’actionnaires sur le dos, ont une responsabilité. Ils devraient s’organiser pour prouver qu’ils produisent mieux, dans de meilleures conditions. Les suicides massifs, là où le travail indépendant disparait (paysans) et là où on privatise (Orange) en font la preuve à contrario.

Dominique, 3 février 2016


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