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Que faut-il mettre en place pour inverser la courbe du chômage ?


Après 40 ans de chômage de masse, après tant de politiques de l’emploi infructueuses, de promesses non tenues et de reculs sociaux dont « l’acceptabilité sociale » est assurée par l’argument de l’emploi, c’est encore le catéchisme du plein-emploi qui sert de réponse à cette question : en se battant pour l’emploi à tous prix et – variante de gauche – en sécurisant les emplois existants, si besoin est en interdisant les licenciements.

Cette réponse constitue pourtant une triple impasse.

Impasse politique d’abord : plus personne ne croit sérieusement aux solutions plus ou moins miraculeuses que ne manquent pas de proposer les différents partis politiques à chaque élection pour créer 3, 4 ou 6 millions d’emplois dans les 5 ou 10 ans. On sait qui tire parti électoralement de ce manque de crédibilité.

Impasse scientifique ensuite : contrairement à une idée reçue, il ne suffit pas de créer des emplois pour faire baisser d’autant le chômage. Si c’était vrai, nous serions en plein emploi ! Depuis 20 ans le chômage croît. Mais l’emploi, lui aussi n’a cessé de croître ! Pour s’en convaincre 3 chiffres suffisent. 3 millions : c’était le nombre de chômeurs en 1996. 3 millions : c’est le solde de nouveaux emplois créés entre 1996 et 2013. 3 millions : c’est toujours le nombre de chômeurs en 2013. Durant ces 15 années, nous avons créé 3 millions d’emplois sans que le nombre de chômeurs ne décroisse d’un seul chômeur ! La cause réside moins dans l’augmentation démographique que dans celle de la population active (c’est-à-dire en emploi ou à la recherche d’un emploi) sous l’effet des réformes de retraites qui maintiennent toujours plus longtemps les seniors sur le marché du travail. La leçon est cruelle : la bataille pour l’emploi fait figure de tonneau des Danaïdes. Se battre pour l’emploi n’a aucun sens si on capitule au même moment sur les droits sociaux et plus précisément sur le droit au salaire pour ceux qui ne sont pas ou plus en emploi : ces 3 millions d’emplois supplémentaires n’auront abouti qu’à mettre en emploi ceux qui auparavant avaient droit à une retraite c’est-à-dire à un salaire sans emploi.

Impasse stratégique enfin. Au nom de l’emploi, nous acceptons tous les chantages patronaux : dans l’entreprise, quand celle-ci menace de fermer ; dans les branches quand on accepte « la modération salariale » ou les coups de canif dans les conventions collectives ; à l’échelle nationale, lorsque le Medef réclame toujours plus d’allégements « de charges » et fait payer au contribuable une partie de sa masse salariale. Au nom de l’emploi, nous acceptons les baisses de droits à indemnisation, le contrôle des chômeurs, l’incitation à accepter n’importe quel emploi… Au nom de l’emploi, nous fermons les yeux devant l’accusation faite aux chômeurs de ne pas être suffisamment « job-ready », de ne pas avoir suffisamment entretenu leur « employabilité », pour réduire leur « distance à l’emploi ». La liste de ces renoncements pourrait être encore plus longue : au nom de l’emploi, les salariés devraient avaler toutes les couleuvres patronales. Il serait temps de cesser de réfléchir dans les termes imposés par le patronat dont la force réside dans la revendication d’un monopole de classe sur « la création d’emploi ». Aujourd’hui, le chômage est moins alimenté par le recul de l’emploi que par le recul des droits sociaux. Ce n’est donc pas en se battant d’abord pour l’emploi qu’on pourra éradiquer le chômage mais en se battant pour les droits sociaux anciens ou nouveaux, des droits à un salaire socialisé hors emploi à tous les âges : un droit au salaire pour les étudiants, un droit à un salaire continu pour les salariés à emploi discontinu à l’instar de ce que revendiquent les intermittents, une retraite à 60 ans, etc.

Matthieu Grégoire est maître de conférences en sociologie et chercheur à l’Idhes. L'Article de l'Humanité est ici


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