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Roman "La nuit de Walenhammes" d’Alexis Jenni


L’emploi ou l’enfer, vraiment ?

Extraits de La nuit de Wallenhammes d’Alexis Jenni

Introduction :

À Walenhammes, la plus grande ville industrielle du nord de la France, après la fermeture des mines et du haut-fourneau, il ne reste qu’un peuple abondant dont on ne sait pas quoi faire. Georges Fenycz, maire de cette immense municipalité décatie, a une idée simple : la pauvreté enrichit. Alors se déverse sur Walenhammes la cruelle guignolade du libéralisme, qui absorbe toutes les critiques qu’on lui adresse.

C’est l’occasion pour l’auteur de se livrer à une coupe réglée du système capitaliste et de sa vision du travail et de dénoncer son injustice, son hypocrisie, sa violence, et les souffrances qu’il engendre.

Premières éphémérides de Lârbi

Le maître dit: Mais pourquoi parler toujours de souffrance au travail? Le travail est aussi un plaisir, un enrichissement, un dépassement de soi!

De quoi parle-t-on? Le travail du plus grand nombre est investissement total, contrôle absolu, humiliation permanente. On a reconstitué les catégories du servage, de la caste, de la domesticité. Pour ne pas en souffrir, on affecte d'en jouir. "Moi, j'aime bien" dit-on, le challenge, l'évaluation, la compétition. On n'a droit à rien et on s'en glorifie. Les perdants ne comptent pas: Ils sont sans valeur, paresseux, fraudeurs.

Ne pas prendre en compte la souffrance de ceux qui travaillent au nom de l'épanouissement du petit nombre qui fait autre chose et au nom de la souffrance censément pire de ceux qui ne travaillent pas, ne fait que détruire le travail, le dégrader, le réduire, et augmente sans cesse la masse de ceux qui disparaissent.

L'aveuglement volontaire est un antalgique naturel.

Secondes éphéméride de Lârbi

Le maître dit: Il faut arrêter avec le romantisme social. Il faut aller vers davantage de flexibilité, faire des boulots qui ne sont pas forcément payés au salaire minimum. Parce qu’un petit boulot vaut mieux que pas de boulot du tout.

Le petit salaire est un coût qu’il faut réduire. Le gros salaire est une marque de réussite qu’il faut développer. Les gros salaires doivent augmenter pour attirer les meilleurs ; ceux qui travaillent pour peu doivent travailler pour moins pour améliorer la compétitivité.

Le même mot n’a pas le même sens selon la taille de l’objet : il faut que les gros salaires aient la trique pour aller travailler, et que les petits salaires aient la peur au ventre, car ils sont de trop. Il faut instiller la honte, rappeler que celui qui ne travaille pas ne mange pas, comme on disait sur les chantiers de Staline, Alors tout sera fluide et flexible.

Les motivations ne sont pas les mêmes chez tout le monde. Si on baissait les gros salaires, ils ne viendraient plus ? Si on baissait encore les petits salaires viendraient-ils ? Une police efficace peut être nécessaire, car ceci il faut un peu forcer les gens à le subir.

Troisième éphéméride de Lârbi

Le maître dit : Sur deux euros gagnés, il ne faut pas que l’Etat puisse en prendre plus d’un.

Cela tout le monde le comprend. Quand on a deux pièces d’un euro dans sa main, on voit qu’en prendre une c’est beaucoup et plus d’une c’est trop. Mais ce principe ne s’applique pas à deux euros, seulement au million d’euros, et au-delà d’un seuil les propriétés de l’argent changent, il acquiert les capacités de reproduction du vivant. Si on a deux euros dans la main, on ira boire un café, mais celui qui a un million d’euros possède un animal domestique qui se multipliera, qu’il traira, et il produira un lait d’argent, qui ne doit rien au travail, mais tout aux champs insomniaques de la finance où il l’emmènera paître.

Ceux qui tiennent leur argent dans la main sont des agriculteurs qui travaillent un champ clôturé. Ceux qui possèdent un million d’euros sont des pasteurs pillards, qui galopent dans la steppe des chiffres,

C’est un tour de force que d’avoir fait croire à des agriculteurs qu’ils avaient des problèmes de pasteur, et de leur avoir fait ouvrir les barrières de leurs champs. Ce fut un prodige de persuasion que de faire admettre à des hommes des actes si contraires à leurs intérêts, de faire accepter à des millions ce qui n’arrange que quelques milliers, de les faire acquiescer à leur dévastation. C’est qu’en regardant passer les troupeaux sur leurs champs piétinés, ils se rêvaient à cheval.

Quatrième éphéméride de Lârbi

Le maître dit : ce n’est pas un crime que d’être riche.

Mais cela le devient de croire qu’on ne le doit qu’à soi. Il est cynique de faire croire que celui qui accumule une fortune en a le seul mérite. Il est cynique de faire croire que celui qui a gagné deux fois plus a travaillé deux fois plus, à moins que l’on ne sache plus ce que signifie le mot travail. Mais peut-être est-ce là le flou qui empêche de penser : la dissolution du sens du mot travail, dont on ne sait plus ce qu’il signifie.

Dans une société organisée, il n’est de richesse que collective. On ne gagne pas un million d’euros en travaillant ; on l’obtient par l’utilisation habile d’une organisation existante, on l’obtient par la situation que l’on occupe, c’est-à-dire par l’habilité de s’être placé là où l’argent s’accumule.

Au-delà d’un certain seuil, le fruit du travail devrait être appelé fruit de l’habileté, ou fruit de l’organisation générale à laquelle a contribué chacun ; ou fruit de cette ruse qui consiste à savoir se placer. Mais on n’échappe pas à l’ivresse de croire qu’on ne le doit qu’à soi. Essayer de prouver que cet argent gagné est le fruit de son seul mérite, c’est partir avec la caisse.

Cinquième éphéméride de Lârbi

Le maître dit : L’objectif inavoué du socialisme est d’accroître la dépendance. La pauvreté en est l’effet délibérément recherché.

Nous nous effondrons pour les mêmes raisons que le monde soviétique : cercle dirigeant étroit, sbire prêts à tout, croyance en des lois que l’on oublie avoir inventées, remplacement du réel par sa mesure. Le résultat est le même : un management par la terreur. La pauvreté extrême est nécessaire, comme des têtes coupées exhibées pour l’exemple.

Ils avaient des Zeks, nous avons des SDF, ils jouent le même rôle. Ils se ressemblent physiquement, usés, amaigris, la peau jaunie par leur vie dégradée. Ils sont habillés des mêmes loques, et remplissent la même fonction ; exhiber leur statut de pires-lotis pour faire un exemple.

Il n’est que la terreur qui mette les gens au travail, il faut montrer ce qui arrive à ceux qui ne suivent pas les consignes. A la seule présence de ces morts-vivants une terreur sacrée s’empare de tous. On ne les voit pas tous les jours mais on y pense toujours.

Le SDF et le Zek assurent la cohésion de leurs sociétés respectives. Ils en occupent le centre intime qui est fait de menace. Bien heureux de n’être pas au camp, bien heureux d’avoir un emploi. Il n’est qu’une seule possibilité de vivre ; et sinon l’enfer.

Emissions et références sur l'ouvrage

Dans quelle état-gère France2

Radio Télévision Suisse

RTL (Les livres ont la parole)

Site de l'auteur


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